La Forêt d’Apollinaire, Christian Libens / Les Forêts de Ravel, Michel Bernard
Une lecture est une aventure personnelle, sinon « à quoi bon ? »
Michel Host
Dans Les Hautes Fagnes
en 1899
« Marche le gars ! Marche en gaîté,
Ce calme jour d’un calme été,
Où, sauf la source, tout se tait ».
Guillaume Apollinaire
La Forêt d’Apollinaire, Christian Libens, Éd. Weyrich, coll. Plumes du Coq, septembre 2013, Préface de Bernard Gheur, 183 pages, 14 € (Ed. Weyrich, Route de la Maladrie 5, Longlier, B-6840 Neufchâteau)
Les Forêts de Ravel, Michel Bernard, La Table Ronde, janvier 2015, 173 pages, 16 €
Le livre de Christian Libens, que l’on vient de rééditer (1), est tout à la mesure de la nostalgie et du souvenir recréé – romancé – d’un passé que l’on aurait aimé vivre et connaître. Comment fut-il cet été de 1899 où Wilhelm de Kostrowitzky et son frère cadet Albert vinrent s’établir à Stavelot, ville de Saint-Remacle, fondateur d’abbayes au VIIe siècle, tranquille bourgade wallonne où coule l’Amblève parmi les forêts, où somnolent les « fagnes », plans d’eau entre étangs et tourbières auxquels il arrive de s’inscrire sur les collines plutôt qu’à leur pied ? Été paisible d’excursions et de baignades des deux frères en compagnie de jeunes gens et jeune filles du cru, parmi lesquels un certain Pierre qui, sur le point d’achever ses études d’instituteur, va entrer dans le métier, devenant ainsi la sommité intellectuelle du lieu et dont Christian Libens fait tout naturellement le narrateur fictif vieillissant de cette brève histoire que nous pourrions aussi définir par les termes d’anecdote marquante.
Anecdote d’abord, relativement peu connue, qui aurait pu comme mille autres échapper à la mémoire humaine. Marquante parce qu’elle concerne l’un des poètes majeurs de la langue française, l’inventeur du vers désentravé de ses cadences classiques, magicien de la musicalité et de la rythmique des mots, engendreur d’images étonnantes et de sonorités inouïes. La mémoire littéraire finit par la rattraper, et le beau roman de Christian Libens en est une preuve supplémentaire. Marquante encore parce que ce séjour d’un peu plus de deux mois laissa des traces précises dans l’œuvre de celui qui deviendra Guillaume Apollinaire : Guillaume, cet été-là, rencontra Maria Dubois (Marèye), jeune fille très belle, « très douce, étourdie et charmante » telle qu’il nous la rappelle avec le préfacier Bernard Gheur, premier amour du poète, jamais oubliée, présente ici ou là dans son œuvre, comme dans ces vers deMarie (2) où son souvenir sous-tend celui de Marie Laurencin, inscrit dans l’immortelle « maclotte » (dont il faut voir l’étymologie wallonne) :
« Vous y dansiez petite fille / Y danserez-vous mère-grand / C’est la maclotte qui sautille…
Les masques sont silencieux / Et la musique est si lointaine / Qu’elle semble venir des cieux / Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine / Et mon mal est délicieux ».
Marquante encore l’anecdote parce que la « baronne » Olga de Kostrowitzky, oublieuse de ses fils qu’elle laisse démunis, s’est logée dans la station thermale de Spa, distante de cinquante kilomètres, s’installant à l’hôtel de la Clé d’or, à proximité du Casino local où elle ne sera pas admise. Elle rentrera donc en France, conseillant à ses fils de filer à l’anglaise. À l’aube du 5 octobre, ils déménagent à la cloche de bois… L’histoire a fini par être connue. Stavelot n’en a guère tenu rigueur au poète et seul l’aubergiste Constant tentera, quelque temps plus tard et en vain, d’obtenir réparation pour le préjudice subi.
Été d’une familiarité bon enfant. On se promène ensemble, on entre loin dans les chemins, les sentiers qui mènent au cœur des forêts ou dans les villages environnants, on boit à l’auberge de la rue Neuve, on se baigne parfois au mépris de toute prudence, le cordonnier répare les chaussures de ville du « jeune baron »… Cela donne prétexte à jaser un brin. Ils ne sont pas « fiers » les jeunes barons de Kostrowitzky, mais amicaux, prêts à écouter, à donner leur avis, à prendre part aux activités locales et notamment à la préparation de la mise en scène d’un spectacle, Le loup de saint Remacle, à La Fougère, Cercle théâtral et poétique stavelotain. On les plaisante néanmoins, on jase dans le dialecte d’ici, un mixte de wallon et de français, souvent amusant, imaginatif et plein d’esprit : le beau garçon est ici le « bê valèt », et, s’il est gentil, le « binamé valèt… ». Qu’il lève trop le coude, il devient l’ivrogne, le « sôlêye » ! Plaisantin, un « bal’teû »… Prétentieux, un « grandiveux »… Amoureux, un « galant ». Pour les filles, les jolies filles, elles sont filles et guettées par cent galants qui muets ou jaloux les suivent de l’œil et les convoitent. Rien que la pure nature, le déplacement des siècles des campagnes du Péloponnèse aux futaies de l’Ardenne.
Pierre, l’instituteur-narrateur, relatant les faits dans sa maison de retraite après tant d’années, confesse n’avoir pas vraiment connu Guillaume, mais seulement Wilhelm. Il raconte cet été-là au même moment où un « pachyderme américain [est] en train de danser sur la Lune ». « Mon Wilhelm aurait aimé ça » commente-t-il nostalgique. Maria-Marèye et ses sœurs, Jeanne et Irma, forment le cœur séducteur de Stavelot, Pierre est l’amoureux quelque peu jaloux de la première que Wilhelm retrouve aux chaudes après-midi dans les bois… Pierre, sans aucun doute, figure les cœurs masculins – Alain, Jacques, Lucien… – que ces jeunes filles traînent après elles. Le temps s’écoule ni ralenti ni précipité. La phrase de Christian Libens est volontairement égale, simple dans son lexique, sans complications syntaxiques ni ornements qui rappellent l’artiste à l’œuvre, la prise de distance « littéraire ». Le romancier a ainsi l’instinct heureux de nous plonger dans le temps lent du bourg ardennais, à hauteur de ses habitants, de leurs habitudes, de leurs concrètes préoccupations qui diffèrent à peine de celles des « jeunes barons » dont les ambitions sont alors l’amusement, l’amour :
« Pourquoi ce ruban, qui allonge encore son beau cou, me trouble-t-il à ce point ? ».
Et aussi le bien boire, la promenade, la natation et le rire, quoique Wilhelm tienne un cahier où figurent ses ébauches poétiques.
Dans le souvenir, ces échos vivifiants et revivifiés : « Nos éclats de rire effacent le temps. Nous n’avons plus d’âge ».
Jeux de garçons, on « pisse » en chœur sans plus de façons. Scène rustique et comique : « Puisqu’il nous faut pisser, eh bien pissons au moins en philosophe, sinon en poète ! ». Du côté de la Baraque Michel, on touche la frontière et l’on y nargue les douaniers belges comme prussiens… Nous sommes avec Wilhelm et Pierre, traversant les collines et les bois. Ce seraient jeux de l’enfance finissante si déjà chez Wilhelm ne naissait la précise lecture du paysage nordique, « Ce réservoir pour rêves d’infini et d’âge d’or, cette éponge de vinaigre sous des croix fondues par la brume, ce morceau de Nord aux marches du Midi… ». Le romancier nous entrouvre les pages du poème apollinarien, des poèmes à venir. Suggestion, mais pas davantage. Un orage formidable change le monde, son image de l’instant pour une autre, pour d’autres… Wilhelm demande à Pierre de « s’offrir aux dieux », et il s’étale dans la boue, la cheville foulée. Oui, la poésie se construira tout autant dans la réalité du monde qu’à travers elle et contre elle… Il faut secourir Wilhelm. Un arbre foudroyé donne la mesure de l’enjeu, celle de la contradiction fondamentale :
« L’âme du tronc éclaté montre la blancheur tendre d’un ventre d’adolescente. C’est seulement alors que je comprends : le danger mortel, cette intimité physique avec la mort. Et puis cet air : l’haleine de la terre, de la forêt et du ciel ».
On discute prose et poésie, peinture et poésie… Pierre se souvient. Wilhelm surprend, mais avec raison je pense : « Je crois que tu te trompes, Pierre. La prose, quelle chose difficile ! On réussit les vers bien plus facilement… ». Pierre, vieillard couché sur son lit de clinique, par la vertu d’un seul été ancien est appelé à la re/connaissance de la vie, qui est peut-être le premier des arts, le plus naturel, à mi-chemin des mots et des images. La vue de son infirmière l’y convie :
« Le haut de son corps et son visage sont restés dans la pénombre. Mais la peau nue de ses jambes semblait absorber toute la lumière. Deux jambes de femme… Voilà le vrai tableau ! Voilà le vrai poème : le frisson de la chair qui vit ! ».
Arbres, lumières et lumière, femmes photographiées au titre de jeunes paysannes wallonnes (Maria était oui, d’une émouvante beauté, avec une mystérieuse lumière dans le regard (3), femmes emblèmes de la perfection du monde, femmes synesthétiques quel que soit leur rôle, première mesure de l’esthétique gracieuse du vivant : « – Ah, les sapins, c’est des femmes aussi ! Avec un autre charme. Plutôt des femmes de nuit… De sombres catins. Des putains aux yeux charbonneux ! » (Wilhelm).
Un charme singulier, sans aucun doute, se dégage du souffle continu mais léger du séduisant roman de Christian Libens. Ce charme et ce souffle, les vivants d’alors ne pouvaient que les percevoir à peine. On ne vit pas pleinement en se représentant la plénitude de notre vie. Il faut que le temps soit passé par là, qu’un vivant d’un temps ultérieur s’en empare, qu’il en reçoive moins une nostalgie qu’un regret. Oui, parfois, ce qui appartient au passé nous semble meilleur, désirable. Illusion séduisante, moins parce que le lecteur n’ignore pas que ces personnages fictifs et réels ont marqué l’histoire d’une trace profonde ou peu appuyée, que pour cette recréation d’une atmosphère qui ne put être différente de celle qui nous est offerte. Ce sentiment de vérité, avec et après Aristote, nous l’avons appelé vraisemblance. Il faut remercier l’artiste-romancier pour cet art maîtrisé de la reviviscence, pour le plaisir qu’il offre au lecteur sensible aux moires et aux vibrations du temps. Savoir gré à celui qui écrit ici, car selon le mot de Werner Lambersy :
« Écrire / c’est garder le feu sous la cendre des mots ».
Le feu, sans aucun doute, chaleur et lumière.
Paris, Bar-le Duc, Verdun,
Montfort-L’amaury, les forêts alentour
« De cette ville près forêt nous fûmes légèrement ».
Gaston Marty, Vécue légèrement
La musique française est un état de grâce, une lumière fusante et légère. Ne pas l’aimer, la goûter, c’est ne rien entendre à l’âme de la France, et singulièrement de l’Île-de-France, son berceau.
Il est forêt et forêt, balade et balade. Celles de Maurice Ravel se circonscrivent, pour la France du moins, aux environs de Saint-Jean-de-Luz (il naquit à Ciboure en 1875), puis aux limites de Montfort-l’Amaury (il y établira sa villa, « Le Belvédère » (4), après la Grande guerre) : ce sont Rambouillet, Compiègne et Versailles. Entre-temps, son engagement militaire le conduira à Bar-le-Duc et à Verdun, là où les arbres sont feuillus ou ébranchés selon que l’on se trouve éloigné ou proche du front. Le roman de Michel Bernard s’attache surtout à la période où le musicien vécut d’abord les violences et horreurs de la guerre, puis à celle qui le verra, à Montfort, établir définitivement sa réputation artistique, construire peu à peu son œuvre avant de sombrer dans une semi-conscience due à la destruction de ses facultés généralement expliquée par un choc reçu lors d’un accident de taxi, puis dans la mort, à 62 ans, à la fin de 1937. L’ambition du romancier est de restituer la vie intime de Maurice Ravel durant ces deux périodes. Il y parvient d’autant mieux que le musicien était d’un tempérament solitaire, plutôt casanier hors des intervalles où il voyageait pour des raisons professionnelles. Par la force des événements, la musique est quelque peu en retrait dans la première période de cette « remontée heureuse du passé et son épanchement dans le présent ».
« Engagement » est le mot qui convient pour annoncer l’arrivée de Ravel à Bar-le-Duc (5), en mars 1916. La chose ne lui fut pas facile : Maurice était non pas de faible constitution, mais de petite taille et d’un poids insuffisant. L’armée n’accepte les gringalets que lorsque les choses vont mal. Il avait quarante et un ans et sa vision lui eût permis d’entrer dans l’aviation comme il le souhaitait. Il fit le siège des autorités militaires. Son obstination fit qu’on lui mit un casque d’artilleur sur la tête – comme à cet autre « musicien », Apollinaire ! –, et, dans les mains, le volant d’un camion ambulancier. C’est ainsi qu’il arriva à Bar-le-Duc, à cinquante kilomètres de Verdun où la grande bataille venait de commencer. Bar-le-Duc, « ce velum sonore d’appels, d’ordres, de grognements, de jurons, où fusaient les exclamations joyeuses des rigolos »…
Maurice Ravel était patriote. Son frère cadet était au front. Se planquer à l’arrière n’était ni dans son style ni dans ses vœux. « Cette ternissure ne se nommait pas. Il l’éprouvait comme une honte, un déshonneur » quand les jeunes paysans piétinaient dans la boue des tranchées. C’est un fort et émouvant moment de ce roman. Je doute – qu’on me permette cet avis – que de tels sentiments puissent être compris et même approuvés de nos jours… Passons !
Ravel mène son camion sur toutes les routes du barrois, et notamment sur celle qui conduit à Verdun, la « voie sacrée ». Il y monte chargé de matériel médical, il en redescend avec les blessés que l’on peut espérer sauver. Durant les pauses (dues à la fatigue extrême ou aux pannes mécaniques) il vit à Bar-le-Duc, logeant chez l’habitant. On prend ici une vraie conscience de ce que dut être cette vie de garnison dans une ville située si près de la bataille. Vie relativement paisible pour notre conducteur. Il est lui-même paisible, fréquentant les cafés (Grand Café, Café des Oiseaux), pris dans ses rêveries et ne manifestant aucun intérêt pour ce qui fait d’ordinaire la vie du soldat tenu en retrait du front, la quête du divertissement et des filles faciles… Tout cela nous est décrit minutieusement, de façon imagée, mais le contraste s’accentue avec la dévastation progressive de la nature, des bourgs soumis à la canonnade, monstrueux orchestre de la guerre… Villages réduits à des « boursouflures », paysages « fantastiques », arbres ravagés sur la dernière branche duquel chante un oiseau… Il arrive qu’une panne l’ayant arrêté non loin d’un château-hôpital (Monthairons), Ravel y découvre un piano : attendant que l’on répare son camion, il donne de petits récitals qui offrent aux malades et au personnel médical des parenthèses de paix harmonieuse. Il arrive encore qu’il puisse aller jusqu’à l’église Saint-Étienne où il admire Le Transi de Ligier Richier, que la rue appelle avec un relatif à-propos le « Squelette » et qui, en fait, est un cadavre en décomposition avancée.
Au bout des doigts, harmonies « joyeuses ou douloureuses »… « Chopin… Chabrier… Fauré… ». Puis des harmonies nouvelles… Ravel répond aux visions noires de combattants « sales, goguenards et râleurs », de prisonniers misérables, aux « marches de l’enfer », faisant écho à la fauvette qui lance ses trilles dans le fracas des obus. La nature réside en lui. La forêt salvatrice, ombreuse, remonte à sa mémoire. Il s’y est toujours ressourcé, comme on le verra, y reprenant force et inspiration. Il s’y enfonce pour une corvée de bois. Il a avec elle « un lien ancien, un lien de naissance ». « Elle était l’enfance et le refuge, la mère des contes et des songes. Elle était comme l’océan, elle était l’océan sur la terre ». La musique à venir, celle qu’il composera, peut-être y sommeille déjà ? Michel Bernard le suggère délicatement.
Maurice Ravel connaît des heures, des semaines de repos relatif, à Chamouilley notamment. Le désir de musique et de composition refait surface dans le secret de son cœur. Il lit Gérard de Nerval, Alain Fournier qui vient de tomber au front. En lui, un lent remuement de lumières et de sons : la musique… la musique future. Souffrant de dysenterie, puis d’une péritonite, il est rapatrié à Châlons-sur-Marne. C’est 1916. Il accompagne sa mère, Marie, dans ses derniers moments, puis assiste, fantomatique, à son inhumation, en janvier 1917. Le fond est atteint : « Autrefois n’avait jamais été. Cette vague illusion qui s’éloignait avec les formes de sa mère était l’apparence du néant ».
Le cœur n’y est plus. Le corps non plus sans doute, pris dans la griffe d’un froid hivernal terrible. Revenu au front pour quelques mois, Ravel est réformé temporaire dès la fin de l’hiver 1917. Là-bas, l’offensive mortifère de Nivelle, le Chemin des Dames ; ici, à Paris, la quête d’une maison où retrouver l’art, la musique, la vocation première, une solitude désirée. Aux alentours de Paris, en janvier 1921, ce sera Montfort-l’Amaury et Le Belvédère : « La maison était à sa mesure. Elle ouvrait sur la forêt et le ciel ». Elle possède aussi un jardin, autre machine à rêves. Il y installera ses deux chats siamois, « dieux sages » qu’il vénère comme il se doit.
Narrer l’existence d’un artiste aussi discret que Maurice Ravel n’est pas facile. Le romancier s’en tire au mieux : il nous donne à méditer le second parcours d’un homme qui se régénère après « trois années de deuil, stimulé par les rapports du temps et des événements ». Nous le voyons faire ses emplettes, fumer une cigarette Caporal dans la rue, converser avec les artisans locaux, les commerçants, les passants, faire une pause au café de la place où il boit un vermouth cassis… Une existence petite-bourgeoise, en somme, interrompue seulement par les soirées de concerts à Paris, l’écoute du jazz au Bœuf sur le toit, la réception de quelques amis, un voyage à l’étranger… Mais l’ouvrage essentiel est remis sur le métier. Nous savons que Ravel n’est ni dans la facilité naturelle ni dans la facilité artistique : son exigence est légendaire. Il compose donc lentement, et parfois jusqu’à l’épuisement. C’est alors qu’il part marcher dans les grandes futaies, les bois et les sous-bois de Montfort à Rambouillet. Il a retrouvé l’air transparent de l’Île-de-France et les oiseaux. Il voit, il entend, il respire. De très belles pages ! Le Tombeau de Couperin a été achevé avant l’acquisition du Belvédère, puis laSuite française… Il a composé La Valse en Ardèche, à Lamastre, y éprouvant « sa capacité à donner corps au néant des songes et faire tenir debout dans le monde réel quelque chose qui n’y était pas auparavant et allait le modifier ». Plus tard, ce sera L’Enfant et les sortilèges… La Légion d’honneur, il la refuse sans explication. Le refus s’explique cependant : « Ravel avait été soldat avec les plus humbles et il avait fait la guerre. C’était assez ».
L’orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski lui apporte un surcroît de gloire, car le modeste citoyen de Montfort-l’Amaury est mondialement célébré. Il a visité les plus grandes capitales, fait une tournée triomphale aux États-Unis (1928), et, en août 1930, Saint-Jean-de-Luz, son pays natal, lui fait fête. Les surréalistes l’intéressent et l’amusent. Il aura encore l’idée d’une Jeanne d’Arc, opéra qu’il ne composera pas, celle aussi d’un François d’Assise, viendra la composition du Boléro puis, pour le pianiste Paul Wittgenstein, celle du Concerto pour la main gauche, suivie de la mésentente que l’on sait… Dès lors, certains, au sujet de Maurice Ravel, parleront d’une œuvre modeste. Certes oui, mais modeste à la manière d’un Flaubert nous laissant quelques romans et nouvelles, mais quels ! Car, tel le romancier, Ravel « travaillait dur, avec l’application butée des anciens cancres et des faux paresseux, jusqu’à ce que sa volonté et sa science soient soulevées par une autre force, douce et puissante ».
C’est à cette force, celle de l’homme et celle du compositeur, que Michel Bernard rend hommage dans son roman. Le monde et le temps peuplent sa musique qui accouche de l’accoucheur qu’il fut. Frappé du mal mystérieux auquel nous avons fait allusion, Ravel meurt le 28 décembre 1937 à l’hôpital. Peut-être pouvons-nous imaginer entendre encore son piano, à Montfort, égrenant « quelques notes claires dans les ténèbres ». Peut-être sera-ce « la vie qui reflue et rappelle celui qui la perd, juste avant la fin, le meilleur de sa chanson ».
Michel Host
(1) Précédente édition, chez Quorum, 1998
(2) Cf. Alcools
(3) Wikipédia et divers sites concernant Guillaume Apollinaire à Stavelot permettent de retrouver le beau visage de cette jeune fille d’autrefois
(4) L’attentive servante de Marcel Proust, Céleste Albaret, « pauvre et sans famille », vivra au Belvédère de 1954 à 1970, grâce à la générosité d’Édouard Ravel, le frère de Maurice (Cf. Prologue, p.10)
(5) Michel Bernard, notre romancier, est natif de Bar-le-Duc
Christian Libens, né à Verviers, a été secrétaire d’Alexis Curvers, attaché au service de presse d’un homme politique, professeur, collaborateur du magazine Spirou, chroniqueur à Paris Match, créateur de jeux de société, commissaire scientifique de l’exposition internationale De Liège au monde, Univers Simenon. Est actuellement chargé de mission au Service de la Promotion des Lettres, chroniqueur à la Revue générale, rédacteur de la coll. Maigret chez Hachette. Administrateur de l’A.E.B.Collaboration régulière aux revues littéraires : La Revue générale, La Grive.
Il a écrit de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Et si on écrivait un roman ?, essai pédagogique, Labor, Bruxelles, 1985 ; Stanislas détective, nouvelle, Luperca, 1987, traduit en néerlandais : Detective Stanislas. (rééd. dans Succès damnés, Luce Wilquin, Avin, 1997) ; Guide de Liège et du pays de Liège, tourisme, Didier-Hatier, Bruxelles, 1991 ; Cinéma, poèmes, La Dérive, Verviers, 1991 ; France Bastia, monographie, Dossiers L, Service du Livre Luxembourgeois, Marche, 1996 ; Un cocker en or, en collaboration avec Claude Raucy, roman pour enfants, La Dérive, Verviers, 1996, rééd. Coll. Couleurs, Memor, Bruxelles, 2002 ; Les tontons liégeois, roman, Quorum, Ottignies, 1996 ; Sur les pas des écrivains à Liège, guide, L’Octogone, Bruxelles, 1997 ; Miel dans la forêt, dans Tant de chiens, nouvelle, Memor, Bruxelles, 1998 ; Du pont liégeois, roman, en collaboration avec Jean-Paul Deleixhe et Guy Delhasse, coll. Le Poulpe, Baleine, Paris, 1998 ; Sur les pas des écrivains en Ardenne, guide, en collaboration avec Claude Raucy, L’Octogone, Bruxelles, 1999 ; Liège ardente et artiste, Artis-Historia, Bruxelles, 2000, coll. Parcours ; Tintin royaliste, nouvelle, Luc Pire, Bruxelles, 2001 ; Écrire et traduire, essai, édition des textes en collaboration avec Nathalie Ryelandt, coéd. Luc Pire, Parlement de la Communauté française, Bruxelles, 2001 ; Apollinaire & Cie, par 27 écrivains et 17 plasticiens, album, Luc Pire, Bruxelles, 2002, introduction par Christian Libens ; Sur les traces de Simenon à Liège, guide, L’Octogone, Louvain-la-Neuve, 2002 ; Yvon Adam, monographie, Luc Pire, Bruxelles, 2004 ; Sur les pas de Tempo di Roma d’Alexis Curvers, Ed. Eranthis, Louvain-la-Neuve, 2007 ; Amours crues, Ed. Luc Pire, Bruxelles, 2009, coll. Le Grand Miroir.
Michel Bernard est né à Bar-le-Duc (Meuse). Il est diplômé de l’École nationale d’administration en 1992, il fait une carrière dans le corps préfectoral et est actuellement sous-préfet de Reims.
Ses ouvrages : Mes tours de France, L’âge d’hommes (1999) ; Comme un enfant, le temps qu’il fait/lettres du Cabardès (2003) ; Le ciel entre les feuilles (avec des photographies de Jean-Marie Lecomte), éd. Noires Terres (2003) ; La Meuse sentimentale (avec des photographies de Jean-Marie Lecomte), éd. Noires Terres (2004) ; La Tranchée de Calonne (prix Erckmann-Chatrian, 2007) ; La Maison du docteur Laheurte (prix Maurice-Genevoix 2009) ; Le Corps de la France (prix littéraire de l’armée de terre - Erwan Bergot), La Table Ronde (2010) ; Pour Genevoix (2011) ; La Grande Guerre vue du ciel, Perrin (2014) ; Les Forêts de Ravel, La Table Ronde (2015). Ont reçu le prix du Festival Livres & Musiques de Deauville 2015). En 2008, il préface l’édition de Carnet de route de Robert Porchon paru chez La Table Ronde. En 2013, il préface l’édition de Ceux de 14 de Maurice Genevoixparu chez Flammarion.
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