La Fonte des glaces, Joël Baqué
La Fonte des glaces, août 2017, 283 pages, 17 €
Ecrivain(s): Joël Baqué Edition: P.O.L
(De la littérature considérée comme chionosphérophilie)
Il est des entrées de villes dont on sait dès les premières rues ou avenues que telle cité n’est pas faite pour vous. L’atmosphère y est pesante et rêche. Au contraire, d’autres offrent une entrée en matière plus enjouée, allègre et avenante. Il en est de même des livres dont on sait dès les premières pages que le récit vous est destiné. Ces pages vous disent que vous êtes chez vous, que vous allez vous plaire ici et surtout ne pas vous ennuyer. C’est ce que j’ai ressenti en ouvrant le livre de Joël Baqué, La Fonte des glaces.
L’ouvrage a paru en août dernier et l’on en a peu parlé lors de la « rentrée littéraire ». A tort, à mon goût. Il fait partie de ces livres qu’on souhaite donner à son voisin après un voyage pour qu’il ne s’ennuie pas. La lecture en est jubilatoire parce que certainement l’écriture le fut. Le style de Joël Baqué a quelque chose de précieux et de joueur. Il s’amuse du récit qu’il conduit, des clichés qu’il détourne, de lui-même l’auteur et du lecteur immanquablement bienveillant devant toutes ces pirouettes.
L’histoire est des plus loufoques, quelque peu « givrée ». Nous suivons le parcours de Louis, ancien charcutier, veuf, retraité un peu benêt qui s’ennuie mais qui au détour d’une brocante va découvrir de quoi donner un sens à son quotidien. Il achète à un brocanteur un animal empaillé, un manchot empereur dont il s’entiche. Il l’installe dans son grenier, recrée l’environnement de l’animal et vient le contempler continuellement. Nous suivons Louis dans sa quête, accumulant des connaissances sur l’animal, et décidant d’aller sur les terres glacées où survit la bête, celle de l’Antarctique puis en Arctique où il découvre la chasse aux icebergs qui contiennent une « eau préhistorique ». Après multiples péripéties, toutes aussi étranges les unes que les autres (sauvetage par un Inuit farceur, dégustation de biscuits hallucinogènes de l’ère soviétique en passant par un flirt avec une femelle manchot), Louis finira en devenant un personnage starifié de l’écologie.
Si l’on ajoute à cela que le père de Louis fut comptable dans une bananeraie en Afrique et qu’il fut piétiné par un éléphant, laissant Louis orphelin et avec une hérédité décalée. Nous sommes là dans un univers kitsch, digne de nains de jardin, ou plutôt de ces boules de neige qu’on retourne pour voir une neige artificielle gentiment tomber sur des personnages emprisonnés et dont les collectionneurs se nomment chionosphérophiles… De la même manière, Joël Baqué nous présente son histoire et nous la retourne dans tous les sens comme ces fameuses boules de neige où Louis et son intérêt pour le manchot empereur s’illuminent et étincellent avec intensité.
Par-delà les questions écologiques soulevées par ce roman (le livre fait partie de la sélection du prix du livre d’écologie remis ce mois d’avril), je retiens surtout l’écriture fluide, précise, cocasse, inventive, joyeuse, pleine de trouvailles, riche de métaphores déroutantes. C’est le livre d’un poète et d’un conteur à l’esprit Dadaïste. L’ouvrage est à conseiller pour quiconque douterait de la capacité de certains livres à nous délivrer de la morosité et à nous transporter.
Charles Duttine
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