La Figure, Bertrand Belin (par Gilles Cervera)
La Figure, Bertrand Belin, éd. P.O.L, janvier 2025, 175 pages, 18 €
Edition: P.O.L
Buisson iodé
Chanteur, on l’écoute. Acteur, on le voit.
Toujours avec joie. Comme on attendait Jean-François Stévenin ou qu’on guette Jacques Bonnaffé au coin d’un film, second rôle essentiel. Bertrand Belin est aussi un bel écrivain.
On le lit.
Belin est un marginal de tout y compris des marges de cahier.
Il nous donne, chez P.O.L, à lire La Figure.
C’est un petit roman dur, un roman de rêve et de glace. D’eaux tourmentées qui montent, envahissent, et de pères fous qui battent les fils et dont il ne faut se protéger d’eux qu’en le tuant ou en les fuyant.
Le choix est ne pas le massacrer car le massacre serait à conséquences, de culpabilité en premier.
« Tu as tes raisons et je ne te pardonne rien ».
Le choix est de fuir. Pas loin. Sous ses fenêtres, dans les caves ou sous le grand laurier. C’est un arbre, le laurier, dont les feuilles sont persistantes. Donc, c’est un abri. Il faut s’imaginer ce qu’on peut faire de civets de lapin avec des feuilles de laurier, ou dans la soupe, et combien le laurier peut devenir un terrier.
Un refuge.
L’enfant, l’ado, on le voit sans connaître son nom. Il dit je. Il se regarde. On le regarde. Le livre fait le tour de ce qui n’est jamais traité en tant qu’une maltraitance mais d’un cri qui a lieu, et donc, d’un roman. Manière, sans la dire au plus dur, d’aller au double. La Figure.
Qui ? Est-ce elle ? Est-ce lui ?
Est-ce l’enfant ? L’ado ? Le jeune adulte ?
Est-ce le surmoi ? La topique gazeuse ? Est-ce l’âme, c’est ça, considérée comme une lame.
La Figure est l’agent double, le conflit intérieur, la réponse à tout, c’est le doute aussi, ce qui s’insinue de vibrations dans l’être. La Figure est une croix qu’on porte, ou un ange qui passe. Bertrand Belin lui donne foi. On la voit.
Le livre nous ouvre à cela, cette vie qui doit être doublée pour être supportable, au moins vivable. Belin écrit et sans doute est-ce la possibilité de supporter les violences subies. Et l’amour !
Car on ne dit pas tant que ça de mal du Führer familial sauf qu’il est toujours bourré. Et s’il ne l’était pas. On pourrait l’aimer, qui sait ?
« Ce n’est pas avec la famille entière que je voulais couper les ponts. Seulement avec le chef de famille. C’est un grade. Le grade de chef ».
L’amour est bien sûr incarné par la mère.
Vue du laurier.
Attendre chaque matin quand elle part en courses ou revient des commissions. Belin recourt aux mots familiers de l’ouest. Ce roman est une didascalie d’infantile et de localisme.
La mère va vite fait à l’épicerie et semble terrorisée, à l’aller comme au retour, par la fenêtre du haut, celle du Kaiser, le tyran domestique. Aperçoit-elle au moins son fils caché dans les caves ? Le regarde-t-elle ? Tourne-t-elle au moins les yeux vers le soupirail où les regards pourraient se croiser ?
L’enfant ne déménagera jamais, ne rejoindra pas, après la cabane brûlée, l’appartement du bailleur social. L’enfant, dès lors qu’il est vivant, fait trop de bruit et tout bruit, même de respirer, peut provoquer chez le père le coup de trop.
On est au bord de la mer.
On est sans doute en Bretagne.
On se permet de quitter l’indéfini pour évoquer Wilfried. C’est un enfant qu’on a accompagné longtemps dans un foyer éducatif. Pas pour l’éduquer, non, pour l’aimer au mieux. Il fuguait souvent. On savait où il allait. Dans son quartier populaire de la ville. Il dormait sous les fenêtres, dans les taillis, sous le HLM de sa mère qui vivait avec un beau père fou. Wilfried escaladait les trois étages, s’accrochait au balcon. Il se suspendait et tentait, le soir, d’au moins croiser le regard de sa mère entre ses demi-frères, la télé allumée et le spectre du fou. Un jour la mère a entendu un bruit mat. Wilfried était tombé à la verticale. Elle n’a pas bougé. Peur de l’apocalypse. Wilfried est rentré à pied, douze kilomètres (ou s’est-il fait accompagné par les flics dont il usait comme d’un taxi), jusqu’au foyer d’hébergement. Il a raconté. On a appelé sa mère pour la rassurer. Il n’était pas mort, cette fois-là. Elle a remercié.
Lire La Figure nous a fait revisiter ces souvenirs. Critiquer un livre est aussi s’ouvrir au risque de l’intersubjectif. Pardon d’avoir concassé le on.
La faute à Belin.
La preuve d’un livre puissant, soufflé du large et plein d’humour, des redites versus névrose qui ont fait penser à un Thomas Bernhard iodé !
« Je vais le tuer avec de la pharmacie, un couteau ou de l’eau, je me disais en me pulvérisant les molaires. Par noyade. C’est l’affaire d’une semaine. Alléluia ».
Gilles Cervera
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