La Femme chez Don Luis de Góngora, Luis de Góngora (par Didier Ayres)
La Femme chez Don Luis de Góngora, Luis de Góngora, éditions Alcyone, octobre 2018, trad. espagnol Michel Host, 88 pages, 20 €
Une poésie des temps
Aborder la poésie de Luis de Góngora par la traduction de Michel Host, qui organise sa transcription depuis l’espagnol autour des sonnets du poète castillan, revient à plonger dans l’univers rayonnant du Siècle d’or, et de l’influence notable sur les artistes et les lecteurs de poésie de plusieurs siècles et origines. Cette riche composition est attachée en général au gongorisme. Car, même si l’ouvrage met en scène la figure de la femme et plus largement, celle de l’amour, il n’échappe pas à la beauté claire et précieuse de cette littérature devenue classique depuis bien longtemps. Ainsi, quand Boileau écrit : ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément, on pourrait appliquer a posteriori cette citation aux poèmes de ce livre des éditions Alcyone. En effet, aucune tache sombre sur les poèmes, aucune ambiguïté, aucun trouble, qui entraveraient la marche belle de ces textes si lointains dans le temps.
À mon sens d’ailleurs, la question de la perte, de l’absence, du renoncement en quelque sorte, sont des thèmes que développent ces textes dont la prosodie est brillante comme l’or. D’ailleurs, plus loin, on se heurte à la question du temps, qui se rapproche de l’inquiétude de la mort, sorte d’avant-propos à toute vraie création et thématique de toujours. Peut-être au reste, y voit-on une pensée liée au Pétrarque des Triomphes, plus qu’à Dante, qui n’avait d’ailleurs pas la même influence à cette époque qu’aujourd’hui. Et puisque je parle d’aujourd’hui, j’ai retrouvé très sensiblement le bel émerveillement de la poésie de Lorca, en son Cante jondo si capital.
Comme surgit à la naissance du jour
une perle blanche sur les roses neuves,
ou, tel l’ouvrage d’une main d’artiste,
perles brodées sur un tissu écarlate,
de ma pastourelle souveraine ainsi
me semblaient être les larmes gracieuses
qui sur ses deux joues coulaient miraculeuses,
d’où émanaient, mêlées, le lait et le sang,
tandis qu’au milieu de ses tendres sanglots
sa poitrine jetait un soupir ardent
qui aurait attendri le roc le plus dur :
et s’il l’eût pu attendrir, ce roc si dur,
songez à ce qu’il a fait de ce vieux cœur
qui ne fut que cire aux soupirs et aux pleurs.
Pour moi, c’est le passage du temps, du temps religieux comme du temps profane, lesquels sont liés à la déploration de l’amour, qui s’apparente à ce sentiment de perte et d’extase de la mystique, ou encore de la morale comme on la trouve dans l’Ecclésiaste, qui se résume dans une espèce de moment sublime, dont seul peut-être le poète est capable de restituer la puissance. L’amour ici se retrouve dans une métaphysique du sublime, donc plus que de la simple beauté.
Hier humaine déesse, ce jour poignée de terre,
hier encensée, ce jour au tombeau, ô mortels !
Plumes, pour être d’aigles royaux, n’en sont pas
moins des plumes : qui l’ignore fait grande erreur.
[…]
Quand une orgue engloutit tout entier l’Océan,
quelle lumière espère un vaisseau sur sa hune ?
Qu’il touche terre, car de terre est l’être humain.
N’hésitons pas à replacer cette littérature au rang magnifique et intemporel de l’âge baroque, avec sa double visée du beau et de l’édification. Et que l’on lise ces textes comme des épitaphes ou des épigraphes, on voit nettement – comme le conseille Boileau – ce qui est éternel, sublime et clair. Oui, un Góngora qui rêve de perte et d’amour.
Didier Ayres
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