La Fayette, Jean-Pierre Bois
La Fayette, août 2015, 496 pages, 24 €
Ecrivain(s): Jean-Pierre Bois Edition: Perrin
Convoquée par des personnalités historiques dont la notoriété résonne encore, l’exploration du passé révèle quelquefois des situations qui préfigurent étonnamment les marques de notre actualité. Le président Obama faisant tout récemment l’éloge d’une alliance séculaire mais primordiale entre les Etats-Unis et la France, puis, la question de la bi-nationalité refaisant surface à travers un débat national subit et prometteur de houle, illustrent aujourd’hui d’assez près ce genre de coïncidences curieuses.
En ajoutant également à ces deux faits sans relation très pertinente, celui a priori tout aussi peu corrélatif de la mise à la mer récente d’un navire français rebaptisé L’Hermione et qui effectuait il y a peu un très symbolique pèlerinage outre-Atlantique, la magie du rebondissement mémoriel opérait ainsi tout dernièrement de façon étrange.
Entre ces évocations, un dénominateur commun en effet. Avec la citation du nom fameux rappelant sa personne, il n’aurait sûrement pas été peu fier de cette célébration post mortem le saluant, quand il s’intitulait superbement de son vivant et au cœur de la société française « Gilbert Motier de La Fayette». Grâce à une réserve prudente ajustée aux dispositions psychologiques assez subtiles du personnage dans son ensemble, mais avec la passion généreuse de ses actes et de ses différentes implications politiques face aux événements, en reconstituant ainsi avec beaucoup de précisions le portrait public d’une exceptionnelle longévité du « héros des deux mondes », l’historien Jean-Pierre Bois nous invite aujourd’hui avec talent, mais aussi par un heureux concours de signes récurrents, au rappel vibrant d’une inscription légendaire de notre histoire d’Etat qui mêla le sort fluctuant de la politique intérieure française aux évolutions internationales concomitantes…
La chose la plus étonnante que retiendra tout d’abord le lecteur de Jean-Pierre Bois en découvrant sonLa Fayette sera probablement la part, certes influente mais temporairement assez réduite, du sacrifice de vie de cet homme pour les Etats-Unis au cours de sa longue carrière politique et militaire. Fort jaloux de sa publicité vertueuse mais dont resterait aussi longuement conditionnée notre perception des réalités montées de la Révolution française, l’enseignement républicain des deux derniers siècles sera sûrement le tout premier responsable de ce placard confiné en lequel, sous le rôle quasi exclusif d’un promoteur-émancipateur du Nouveau Monde, on enferma bientôt sensiblement l’un de ceux qui devint pourtant une figure de proue au sein du grand chamboulement français d’époque. Qu’un Mirabeau, qu’un Danton, qu’un Robespierre ou, ensuite, qu’un Napoléon soient devenus dans ces circonstances les protagonistes de la transition progressive des institutions nationales ne surprendrait personne. Il est pourtant des acteurs de ce temps, à qui une part non négligeable de notre héritage politique et social tiré de ce très incandescent foyer, reviendrait maintenant, si ceux-là ne s’étaient vus très tôt poussés dans l’ombre par un mécanisme de fabrication mémorielle délibérément oublieux de leur fait. Sans compter qu’ils ne se résignèrent jamais à un total reniement de la monarchie mais surtout parce que leur origine sociale les rattachait sans maquillage possible à l’aristocratie, à Dumouriez, à Talleyrand (qui revient toujours à la place où il faut être au moment nécessaire, p.374) et aussi à La Fayette, serait de la sorte assez institutionnellement promise cette sorte d’obscurité historique en laquelle les rejeta une bientôt très sélective mainmise républicaine. Quand tous trois auront traversé la tempête révolutionnaire qui répudia presque définitivement le mariage de la France avec la monarchie (absolutiste, ou même plus tard constitutionnelle), quand aussi chacun d’eux se sera prémuni de toutes les réserves habiles face au très aventureux contrecoup d’Empire qu’ils dépassèrent alors, on peut entrevoir aujourd’hui que leur sagesse ou que leur clairvoyance fut bien des plus précieuses pour les inflexions démocratiques instituées en France à partir de là. Comment, d’autre part, l’un d’entre eux, qui traversa non sans péril pour sa personne (notamment en prison à Olmutz) les folles agitations sanguinaires de l’installation politique « émancipatrice » resterait-il encore marqué du sceau infamant de la girouette ou revêtu des habits du caméléon quand celui-là même, qui avait présenté la toute première déclaration des droits de l’homme et du citoyen dès 1789, assurait toujours, trente ans plus tard sous l’uniforme de la « Garde Nationale » (et lors des journées dites « glorieuses ») avec la même ferveur : La liberté triomphera, ou nous périrons ensemble ! (p.373). Est-il finalement tellement crucial pour la vertu publique que La Fayette se soit jamais déclaré républicain ou monarchiste par étiquette ?
En 1787, La Fayette rapporte dans une lettre à son ami Washington : Les affaires de France sont toujours dans une situation indécise. Il faut toujours remplir un énorme déficit par de nouvelles taxes, et la nation est lasse de payer ce qu’elle n’a pas voté… Le roi est tout-puissant en France (…) mais la Cour est remplie de vils courtisans, les classes inférieures sont plongées dans l’ignorance, et les esprits commencent à s’éclairer par les ouvrages des philosophes, de sorte qu’il y a un étrange contraste entre le pouvoir oriental du roi, le soin des ministres pour le conserver intact, les intrigues et la servilité d’une race de courtisans d’une part, et de l’autre la liberté générale de penser, de parler, d’écrire, malgré les espions, la Bastille et les règlements sur la librairie (p.124). A travers ces quelques lignes se lit, non point d’abord et avant tout quelque instructif résumé de l’état du pouvoir et de la nation française à l’instant prérévolutionnaire, plutôt et en premier lieu le jugement éclairé de l’un de ceux qui regarda lucidement par où le mal s’était répandu, qui savait également suggérer là où il devait être combattu. Ce dernier objectif, certes idéaliste et inspiré par quelque expérience américaine, fut bien alors pour La Fayette le combat politique opiniâtre et immuable auquel il resterait attaché durant toute sa vie. Pour peu que l’on ne tienne plus grief aujourd’hui de l’extraction aristocratique, peut-être alors les qualités humanistes d’un La Fayette en son temps salué par Voltaire pourraient-elles désormais rivaliser avec celles de ces héros, certes justiciers et abolitionnistes véhéments mais également factieux et sanguinaires, auxquels la République séculaire très imbue de ses principes fondateurs ne cessa d’attribuer tout mérite, notamment s’agissant de notre héritage démocratique ?
Le formidable et généreux travail accompli par Jean-Pierre Bois pour ce livre en lequel on suit bientôt pas à pas les traces du marquis de La Fayette aide à redécouvrir sous un angle inédit la construction historique difficile de notre univers occidental d’il y a deux siècles et demi. Depuis ce temps les sociétés qui revendiquent cet héritage n’ont pas manqué de connaître une quantifiable amélioration démocratique. Cela ne fait alors guère de doute, les droits de l’homme, sinon universellement répandus et adoptés mais au moins publiés à très large échelle, auront été transcendés au temps de La Fayette par un élan phénoménal de la République française. Sous le jour des agitations internationales actuelles très amplement nourries d’idéologie, la grande descendante de l’institution initiale reste pourtant confrontée aux débats qu’instaura crucialement et durablement son système. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » avait scandé Saint Just au temps agité. La guillotine se chargeait sitôt de la sentence. Transposé aujourd’hui, l’axiome retient : « pas de république pour les ennemis de La République ! », et à l’aune de quoi se profile quelque timide couperet de la déchéance civique. Peut-être était-ce bien la chose la plus sage pour La Fayette que de s’être opposé au désordre quand se voyait alors une solution pacifique dans la réforme ? Mais quels seraient à présent ces droits de l’homme qui occulteraient les devoirs du citoyen ? Dans sa version primitive, il est sans doute utile de voir que le texte dictait déjà le droit sans ablation du devoir (extrait du texte original) : « Les Représentans du Peuple François, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernemens, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solemnelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs… ».
Qui donc voudrait encore imaginer qu’aux « droits » ne colleraient plus de très indissociables contraintes ? De cela, le La Fayette de Jean-Pierre Bois ne semble jamais avoir été dupe. C’est probablement en quoi le rédacteur de la première Charte nous est utile aujourd’hui et l’auteur du récit de sa vie un historien précieux.
Vincent Robin
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