La fantaisie répond à la mélancolie, François Baillon (par Patrick Devaux)
La fantaisie répond à la mélancolie, François Baillon, novembre 2019, ill. Odona Bernard, 139 pages, 20 €
Edition: Le Coudrier
Dieu hésite au-dessus de son œuvre dans la bouillante marmite de sa création. Aurait-il un doute ?
François Baillon l’aide-t-il à faire feu de tout poème à précipiter, entre les mots du juste questionnement, la vivacité culinaire de la Poésie ?
C’est qu’il ne manque pas d’ingrédients à épicer une mélancolie philosophale d’une pincée de fantaisie : « Je réduis la cuisson, se dit Dieu, et tous les éléments devraient pouvoir rester ».
Dieu et le scientifique se confrontent dans une sorte d’hilarité explosive qui n’a rien à envier aux rétrécissements et agrandissements « d’Alice » dans son « Pays des merveilles », François tirant les audaces littéraires d’une sorte de chapeau d’Eternité, laissant éclater une sorte d’irresponsabilité d’un Dieu laissant échapper un projet inabouti ou peut-être bien, plus volontairement, obligeant l’Homme à prendre ses responsabilités.
Une sorte de fausse désuétude donne de la grandeur aux propos transcendés en poésie : « Et soudain les flots brillent, l’un est embarqué/ Vers des conceptions neuves qu’en dépit de soi/ On n’aura pas su voir ».
S’agitant du chapeau, de la plume ou même de la perruque poudrée, l’auteur se joue des codes convenus entre dialogue, scène fantastique ou conte drolatique, l’écrivain se faisant chaos logique de l’imprécision divine.
L’objet a force de parole et détermine l’homme dans son acte y compris dans le souci majeur de l’écrivain motivant son inspiration même à travers ce qui est censé faire épanouir.
Les gestes quotidiens eux-mêmes sont mêlés de ritournelle ou de prose fantaisiste.
Cette fantaisie proche du poète conteur Henry Abattu bien oublié ou d’Alain Germoz (Le fou rire de la Joconde) remet en question nos lieux établis avec un léger humour un peu burlesque qui ne nous fera pas taper sur les cuisses mais agitera nos neurones dévolus aux réflexions créatives.
Propice à « dissoudre les lois du temps », le ton de l’auteur en rajoute avec un émerveillement infantile où les yeux de l’enfant sont subjugués de pouvoirs ressentis dans la force décisionnelle de l’Ecriture : « L’espace aura beau aspirer l’ensemble des objets croisés, prenant mes souvenirs, le temps en fera des “être” vivants ».
L’être lui-même est évoqué étant enfermé dans son propre corps là où la mélancolie se heurte aux angles droits d’une réalité transformée jusque dans les titres des nouvelles/contes tél ce Ciel géométriequ’illustre avec brio Odona Bernard, jeune virtuose de la tablette graphique.
L’inventivité n’a plus de limites pour François, magicien des mots à renverser les situations se servant d’une sorte de géométrie architecturalement inversée dans le temps et l’espace : « Elle a perdu le chemin qui était dans son dos. Mais lorsqu’elle regarde devant elle avec concentration, elle est capable de relever mille particularités dans le blanc ».
Ce monde coloré, parfois emprunté aux peintres surréalistes, fait grandement penser aux espaces flottants de Magritte ou aux inspirations évanescentes de Cocteau.
Intervenant souvent dans le débat, l’auteur lui-même se met alors discrètement en scène comme dans La Sterne et le Papillon où l’auteur semble se codifier à la façon de La Fontaine :
« – Pas du tout ! répliqua avec conviction Machaon. Je suis plutôt sûr qu’il cherche à dresser les mots. Je crois qu’il tente de leur donner de la valeur », la belle intention de François ayant force projet dans cette belle phrase.
Philosophe et mûre pour son âge, cette étonnante plume nous fait ce brillant rappel :
« Nous avons constamment à explorer un chemin sur lequel on fait pousser des fleurs qu’on prend à peine le temps de voir grandir, tout en sachant que notre distinction idéale n’est jamais visible ».
Plusieurs œuvres en une seule où « Revient le loisir de faire ruisseler/ De douces nostalgies douteuses/ Au même rythme qu’un chant de roitelet ».
Féminisme de bon aloi ou écologie font parfois la part belle aux sous-entendus de nos illusoires préoccupations, la société entière en prenant, joyeusement, pour son grade, les dialogues à découvrir étant menés de manière crédible malgré les trompeuses apparences.
Les illustrations d’Odona Bernard subliment le texte aux endroits bien choisis.
Patrick Devaux
François Baillon se forme au Cours Florent et étudie les Lettres Modernes à la Sorbonne. Il publie un premier roman en 2015, Les journées doréfiées de Nathalie (Éditions de l’Onde). Plusieurs de ses nouvelles et poèmes sont publiés dans des revues comme Les Cahiers de la rue Ventura, Délits d’encre, Le Capital des Mots… Il est, par ailleurs, chargé de production pour plusieurs associations et compagnies engagées dans la création et l’organisation de pièces de théâtre, de spectacles musicaux et de concerts.
François Baillon est également rédacteur à La Cause Littéraire.
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