La Fabuleuse découverte de la tombe de Toutânkhamon, Howard Carter (par Matthieu Gosztola)
La Fabuleuse découverte de la tombe de Toutânkhamon (traduit de l’anglais par Martine Wiznitzer), 2019, 176 pages, 8 euros 10
Ecrivain(s): Howard Carter Edition: Libretto
« Depuis qu’il médite, a reconnu l’écrivain et musicien Jacques Drillon en l’un de ses – précieux – ouvrages, l’homme se demande s’il trouvera plus rapidement ce qu’il cherche derrière la "porte d’or de l’imagination", ou derrière la "porte basse et honteuse de l’expérience" dont parle Proust ». Mais il est un lacis de couloirs qui fait se rejoindre porte basse et porte d’or. Ce sont les labyrinthes de passages, de tunnels et de chambres, ornés de scènes dont la beauté se doit d’accompagner le roi défunt dans son voyage vers l’autre monde, où il sera accueilli par Osiris.
Nous songeons aux tombes égyptiennes, bien sûr (coordonnées : 25° 44′ 27″ nord, 32° 36′ 08″ est). Soit, par exemple, celle de Ramsès II, ainsi décrite par Claude Obsomer : « Un escalier d’une vingtaine de marches à glissière centrale donne accès à la porte, dont le linteau est orné de l’astre solaire […]. Un premier corridor en pente offre des parois consacrées à la renaissance journalière du roi […].
À la fin de ce corridor prend naissance un escalier qui se poursuit dans le corridor suivant, dont les murs sont ornés du chapitre 151 du Livre des Morts concernant la protection de la tombe. Au bas de l’escalier, une porte qui présente la figuration des fils d’Horus donne accès à un corridor en pente décoré de scènes et textes […] décrivant le parcours nocturne de la barque solaire. Ce corridor donne sur une chambre presque carrée, dans laquelle [un] puits a été creusé après les funérailles. Après le puits, une salle à quatre piliers […] offre un escalier qui permet d’accéder aux parties les plus profondes de la tombe, tandis que le mur de droite est percé d’une porte donnant accès à deux autres salles en enfilade… »
Mais la tombe de Ramsès II a été pillée jusqu’au cœur de son cœur. Particulièrement à l’époque gréco-romaine : elle a été abondamment visitée – rappelle Claude Obsomer dans Ramsès II (Pygmalion, collection Les grands pharaons, 2012) – par des touristes et des pillards qui n’hésitaient pas à s’y installer pour quelque temps à la recherche de butin (des visiteurs grecs ont laissé leur nom sur les parois, tandis que des foyers et des ossements d’animaux ont été retrouvés dans les deux annexes les plus profondes, au milieu de tessons romains et coptes). La tombe de Ramsès II a été pillée jusqu’au cœur du silence de l’expression par quoi elle parvient désormais à nos yeux désolés.
Non, ce qui excite notre curiosité, ce qui réveille nos sens, c’est l’idée d’une tombe « que n’auront fouillée ni les rois pasteurs, ni les Mèdes de Cambyse, ni les Grecs, ni les Romains, ni les Arabes, et qui nous livre ses richesses intactes et son mystère vierge […] ». Gautier a imaginé une telle tombe, dans Le Roman de la momie : « On attaqua la porte, qui céda bientôt. Un escalier taillé dans le roc vif se présenta avec sa descente rapide. Sur un fond vert terminé par une ligne bleue se déroulaient, de chaque côté du couloir, des processions de figurines emblématiques aux couleurs aussi fraîches, aussi vives que si le pinceau de l’artiste les eût appliquées la veille ; elles apparaissaient un moment à la lueur des torches, puis s’évanouissaient dans l’ombre comme les fantômes d’un rêve. Au-dessous de ces bandelettes de fresques, des lignes d’hiéroglyphes, disposées en hauteur comme l’écriture chinoise et séparées par des raies creusées, offraient à la sagacité le mystère sacré de leur énigme. Le long des parois que ne couvraient pas les signes hiératiques, un chacal couché sur le ventre, les pattes allongées, les oreilles dressées, et une figure agenouillée, coiffée de la mitre, la main étendue sur un cercle, paraissaient faire sentinelle à côté d’une porte dont le linteau était orné de deux cartouches accolés, ayant pour tenants deux femmes vêtues de pagnes étroits, et déployant comme une aile leur bras empenné. »
Mais c’était là le fruit de l’imagination de ce partisan de l’art pour l’art qu’était Gautier, celui-ci se serait-il inspiré très précisément de documents rendant justice à l’art égyptien, et aux découvertes successives qui lui ont redonné une place au premier rang, dans les chapelles et de l’art et du Temps, comme l’a montré l’abondante annotation de la Pléiade, due à Pierre Laubriet.
Carter, lui, n’a pas seulement rêvé. Il a vécu. Heureux homme ! Et lorsqu’il s’est agi, pour lui, d’écrire, ça a été pour retranscrire, le plus fidèlement possible, de manière très détaillée, son expérience. Une expérience qui apparaît comme un hapax, car nous autres humains ne sommes guère habitués à ce que le conte prenne possession de nous, pour nous faire vivre, merveilleusement, en ses dédales, en son labyrinthe de corridors, – en sachant, pour reprendre la formulation de Hugo dans L’homme qui rit, qu’il y a le corridor incarnat en marbre de Sarancolin, le corridor brun en lumachelle d’Astracan, le corridor blanc en marbre de Lani, le corridor noir en marbre d’Alabanda, le corridor gris en marbre de Staremma, le corridor jaune en marbre de Hesse, le corridor vert en marbre du Tyrol, le corridor rouge mi-parti griotte de Bohême et lumachelle de Cordoue, le corridor bleu en turquin de Gênes, le corridor violet en granit de Catalogne, le corridor deuil, veiné blanc et noir, en schiste de Murviedro, le corridor rose en cipolin des Alpes, le corridor perle en lumachelle de Nonette, et le corridor de toutes couleurs, dit corridor courtisan, en brèche arlequine.
« Lentement, se souvient Carter, désespérément lentement, le reste des gravats qui encombraient la partie inférieure de la porte fut déblayé. L’instant décisif était arrivé. Les mains tremblantes, je pratiquai une petite ouverture dans le coin supérieur gauche. J’y introduisis une tige de fer qui ne rencontra que le vide. Puis je plaçai une bougie devant l’ouverture, pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’émanations dangereuses, élargis le trou – et regardai. Anxieux, Lord Carnarvon, Lady Evelyn et Callender se tenaient près de moi. D’abord, je ne vis rien ; l’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis, à mesure que mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent lentement : d’étranges animaux, des statues, et, partout, le scintillement de l’or. Pendant quelques secondes – qui durent sembler une éternité à mes compagnons – je restai muet de stupeur. […] Il faut imaginer comment ces objets nous apparurent, à la lumière de notre lampe – première lueur à percer l’obscurité de l’hypogée depuis trois mille ans. L’effet était inouï, bouleversant. Je crois que nous n’avions jamais vraiment formulé en termes exacts ce que nous nous attendions à voir. En tout cas, nous n’avions certainement jamais rêvé pareille chose : toute une salle remplie d’objets dont certains nous étaient familiers, d’autres inconnus, empilés les uns sur les autres avec une profusion apparemment inépuisable. »
Se lève ici, non défloré, l’univers des Mille et une nuits. Tel qu’il est restitué, en une certaine manière, par l’orientaliste Mardrus et tel qu’il a été glorifié par Alfred Jarry dans La Revue blanche du 1er octobre 1901, sous la rubrique « Chronique de la littérature : Les Nuits » : « […] Et il vit la mer au-dessus de sa tête se déployer comme un pavillon d’émeraude, tel que sur la terre l’admirable azur reposant sur les eaux ; et à ses pieds s’étendaient les régions sous-marines que nul œil terrien n’avait violées depuis la création ; et une sérénité régnait sur les montagnes et les plaines du fond ; et la lumière était délicate qui se baignait autour des êtres et des choses, dans les transparences infinies et la splendeur des eaux ; et des paysages tranquilles l’enchantaient au-delà de tous les enchantements du ciel natal ; et il voyait des forêts de corail rouge, et des forêts de corail blanc, et des forêts de corail rose qui s’immobilisaient dans le silence de leurs ramures ; et des grottes de diamant dont les colonnes étaient de rubis, de chrysolithes, de béryls, de saphirs d’or et de topazes ; et une végétation de folie qui se dodelinait sur des espaces grands comme des royaumes […] ». Mardrus avait prévenu ses lecteurs : « Je puis promettre, sans crainte de mentir, que le rideau ne se relèvera que sur la plus étonnante, la plus compliquée et la plus splendide vision qu’ait jamais allumée, sur la neige du papier, le fragile outil du conteur. »
Sauf qu’en ce qui nous concerne – avec Carter – tout est vrai. « Graduellement, raconte Carter – ne l’interrompons plus ! –, la scène se fit plus nette, et nous commençâmes à distinguer quelques objets. […] [S]ur la droite, deux statues attirèrent notre attention. Deux statues du roi, en bois, grandeur nature, se faisant face telles des sentinelles, habillées d’un pagne et chaussées de sandales d’or, armées d’une massue et d’une longue canne, portant au front le cobra sacré. Et partout, et toujours, empilés les uns sur les autres, par centaines, des coffres peints et délicatement incrustés, des vases d’albâtre aux décors ajourés, d’étranges coffres noirs, la porte de l’un laissant échapper un gros serpent doré, des bouquets de fleurs et de feuilles, des lits, des chaises magnifiquement sculptées, un trône en or, de curieuses boîtes oblongues, des cannes de toutes tailles. Sur le seuil de la chambre, nous aperçûmes une magnifique coupe d’albâtre translucide en forme de lotus. À gauche, une pile confuse de chars démontés, étincelants d’or et de pierres incrustées. Et, derrière, nous épiant, une autre statue du roi. […] Une porte basse, sur la droite, donnait accès à une autre pièce, plus petite que les précédentes, et moins haute. Contrairement aux autres, cette porte n’avait été ni bouchée ni scellée. D’où nous étions, nous pûmes donc voir ce qu’elle contenait. Un seul coup d’œil suffit à nous faire comprendre que c’était elle qui renfermait les véritables trésors de la tombe. Face à la porte, contre le mur le plus éloigné, il y avait un coffre monumental, le plus beau que j’aie jamais vu, devant lequel nous restâmes muets d’admiration. C’était un tabernacle, entièrement recouvert d’or et surmonté par une frise de cobras sacrés. Autour de lui se tenaient les quatre déesses tutélaires du mort, les bras tendus en signe de protection, si naturelles et si vivantes dans leur pose, leur visage exprimant tant de compassion […] qu’on osait à peine les regarder. Elles veillaient chacune sur un côté du coffre, mais tandis que celle de devant et celle de derrière avaient le regard fixé sur le coffre dont elles avaient la charge, les deux autres, la tête tournée de côté, regardaient par-dessus leur épaule, comme pour surveiller l’entrée. La chambre contenait bien d’autres merveilles, mais nous avions du mal à détourner nos yeux des magnifiques petites déesses. Tout près de l’entrée se dressait la statue du chien Anubis dans son naos, enveloppée d’une étoffe de lin et posée sur des brancards. Derrière le dieu, on apercevait une tête de vache, symbolisant, elle aussi, l’univers des ombres. Contre le mur sud de la chambre étaient déposés des coffres et des tabernacles de bois noir, tous fermés et scellés, à l’exception d’un seul, dont les portes ouvertes laissaient apparaître des statues de Toutânkhamon montées sur des léopards noirs. Vers le mur du fond, des boîtes en forme de naos et des cercueils miniaturisés en bois doré contenaient sans doute des statues funéraires du roi. Au centre de la pièce, à la gauche d’Anubis, se trouvait une rangée de coffres en bois et ivoire, incrustés d’or et de pâte de verre bleue. En soulevant le couvercle de l’un d’eux, nous découvrîmes un riche éventail en plumes d’autruche au manche d’ivoire, qui semblait sortir de l’atelier de l’artisan. Il y avait aussi, distribuées un peu partout dans la chambre, des maquettes de bateaux, avec voiles et cordages, et sur le côté nord, un autre char. […] Je ne sais plus combien de temps nous restâmes à contempler ces merveilles, mais notre absence dut paraître une éternité à ceux qui nous attendaient. On ne pouvait admettre plus de trois personnes à la fois ; aussi lorsque Lord Carnarvon et M. Lacau sortirent les autres vinrent-ils par deux. Ce fut d’abord Lady Evelyn Herbert, la seule femme présente, et Sir William Garstin, puis le reste de la compagnie. Quand ils revenaient dans l’antichambre, émerveillés, stupéfaits, ils ne pouvaient qu’écarter les bras, dans un geste d’impuissance, incapables de formuler une quelconque description des merveilles qu’ils avaient vues. Elles étaient, en vérité, indescriptibles, et les émotions qu’elles faisaient naître en nous étaient d’une nature trop intime pour les communiquer, même si les mots se pressaient sur nos lèvres. »
Lisant La Fabuleuse découverte de la tombe de Toutânkhamon, on se met à la place de Carter. « Tous les fouilleurs connaissent, écrit superbement l’archéologue, ce sentiment de respect – presque de gêne – qu’on éprouve lorsqu’on pénètre dans une chambre fermée par des mains pieuses des siècles auparavant. Un instant, le temps s’abolit. Trois mille, quatre mille ans peut-être se sont écoulés depuis qu’un pied a foulé pour la dernière fois ce sol. Et pourtant, à mesure qu’on note les traces de vie autour de soi – le bol à moitié rempli de mortier, la lampe noircie, l’empreinte de doigts sur une surface récemment peinte, la guirlande d’adieu posée sur le seuil –, on a l’impression que c’était hier. L’air qu’on respire, le même depuis des millénaires, on le partage avec ceux qui déposèrent la momie dans sa sépulture. »
On a l’impression que c’était hier… Nous prend l’envie de voir des chats sauvages (Felis chaus nilotica, le « chat des marais », ou Felis sylvestris libyca ou Felis serval), dont les restes osseux sont présents dès 4500 avant J.-C. ; chasse à la limite du désert le chat sauvage qui apparaît sur les parois de certains mastabas de l’Ancien Empire. Nous prend l’envie de prendre dans nos mains une espèce de ce petit félidé carnivore, Felis sylvestris catus, qui entre dans l’univers domestique des Égyptiens à partir du Moyen Empire jusqu’à devenir, au Nouvel Empire, très apprécié, très représenté.
Nous prend l’envie d’admirer un ibis sacré et son élégance hiératique – cou flexible et gracieux, tendu en avant lorsqu’il est en vol, long bec incurvé et plumage blanc qui tranche avec le noir de la queue, du col et de la tête – : Threskiornis æthiopicus, aujourd’hui disparu d’Égypte, et qui migrait autrefois en colonies, depuis l’Éthiopie vers les marécages du Delta, au moment de la crue du Nil.
Matthieu Gosztola
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