La Deuxième Vie, Philippe Sollers (par Philippe Chauché)
La Deuxième Vie, Philippe Sollers, Gallimard, mars 2024, Postface, Julia Kristeva, 80 pages, 13 €
Ecrivain(s): Philippe Sollers Edition: Gallimard
« Dans la Deuxième vie, tout est double et se répète indéfiniment. Les éléments négatifs sont éliminés et chaque moment est perçu instantanément pour la deuxième fois. Le caractère le plus inattendu de l’éternité est donc la vivacité. C’est d’un vif mouvement que la mer se mêle au soleil ».
La Deuxième Vie s’offre, car il s’agit d’une offrande, comme le dernier roman de Philippe Sollers, un roman suspendu par la mort physique, par les ténèbres, qui une nouvelle fois ne voient rien de la lumière. Au principe était le roman, et le roman était chez Sollers, le roman était Sollers, et qu’il ne soit plus là physiquement ne change rien à l’histoire (1). La Deuxième Vie est un roman solaire, inspiré et béni des dieux de l’Atlantide, et évidemment du Dieu revenu des ténèbres, comme devrait l’être tout testament, toute dernière et provisoire incursion dans la vie réelle et romanesque, avant que le souffle et la main ne soient suspendus.
La Deuxième Vie est un roman né de la première vie, qu’elle a enfanté, par le miracle inspiré du roman. Philippe Sollers sait ce qui l’attend, tout en sachant, et ce roman le prouve à chaque page, qu’il est au cœur de la résurrection qui vous saisit durant la vie. C’est cette vie puissante qui irradie le roman, puissante et inspirée par ce qui se déroule devant ses yeux, les malédictions du Gros Animal : trafics des corps en devenir, la GPA, le Gros Prédateur Animal, effacement des noms et finalement de l’art romanesque, victoire périlleuse du social sur l’intrigue romanesque, matriarcat qui ne se dissimule plus, assèchement de la langue, et tant d’autres éclats pervers. Face à ce Gros Animal social, l’écrivain s’adonne à ce qu’il n’a cessé de pratiquer depuis Une Curieuse solitude : écrire. Écrire, mais aussi aimer, qui sont peut-être, là, les deux piliers de la sagesse qu’un écrivain se doit de posséder. La Deuxième Vie est une étreinte, comme celle peinte par Picasso, le 20 octobre 1969 ; dans quelques jours, il entrera dans sa quatre-vingt-neuvième année, et l’image de cette étreinte devrait être en couverture de la future réédition de La Deuxième Vie dans la Collection Folio ; ce sera alors aussi la deuxième vie de Picasso, peintre détesté par le Gros Animal, et les nouvelles et arrogantes féministes de ce siècle.
« L’amour fou d’Eva, le rituel enfantin de l’échange des sangs, par la piqûre des pouces gauches, riche éducation vicieuse, caresses feutrées, passion du secret, voilà le meilleur roman de ma vie ».
La Deuxième Vie est donc le dernier roman de Philippe Sollers, un roman inachevé, qui par sa densité, sa profondeur, sa grâce, sa saisissante force vitale, ses traits et ses flèches, mais aussi ses célébrations : le Marquis de Sade, Rimbaud, Venise, sa sœur, les femmes qui l’ont protégé des fausses femmes, Freud, le Savoir Absolu qui est l’autre nom de L’Infini, et tant d’autres étincelles, en fait un roman absolu, un Vrai Roman (2). Les romans de Philippe Sollers ont des ciels nourris d’étincelles, et d’astres irradiants. Philippe Sollers a suspendu sa plume, et son regard aux facettes d’or s’est éteint, c’est ce que l’on pensait avant de lire et de relire La Deuxième Vie, un roman qui se lit à l’oreille, comme l’on déguste à la lettre un vin des bords de Garonne, et l’on se dit alors que l’écrivain est magnifiquement vivant, sa plume alerte bondit pour notre plus grand bonheur.
Philippe Chauché
(1) « Au principe était la parole, la parole était chez Dieu et la parole était Dieu.
Elle était au principe chez Dieu.
Tout a existé par elle et rien de ce qui existe n’a existé sans elle.
En elle était la vie et la vie était la lumière des hommes.
La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas trouvée » (Évangile selon Jean, La Bible, Nouveau Testament, Edition de Jean Grosjean, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971).
(2) Un vrai roman, Mémoires, Philippe Sollers : « Toute ma vie, on m’a reproché d’écrire des romans qui n’étaient pas de vrais romans. En voici enfin un ». “Mais c’est de votre existence qu’il s’agit”, me dira-t-on. “Sans doute, mais où est la différence ? Vous allez me l’expliquer, j’en suis sûr” » (Plon, 2007).
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