La désobéissance d'Andreas Kuppler, Michel Goujon
La désobéissance d’Andreas Kuppler, février 2013, 205 p. 18 €
Ecrivain(s): Michel Goujon Edition: Héloïse D'Ormesson
Comment la terreur issue d’une idéologie totalitaire telle que le nazisme s’implante-t-elle parmi les individus ? Par leurs silences et par la peur. Ce sont les thèmes majeurs abordés dans le roman de Michel Goujon La désobéissance d’Andreas Kuppler.
Andreas Kuppler est chroniqueur sportif dans un grand journal berlinois dirigé par Ralph Becker, patron de presse compétent, nazi militant et convaincu des bienfaits du régime. Il couvre en 1936 les Jeux Olympiques d’hiver de Garmisch-Partenkirchen, station de sports d’hiver à la mode en Allemagne. Il y trouve l’occasion de réfléchir sur l’état du couple qu’il forme avec Magdalena, femme conservatrice, réactionnaire et n’ayant pour seul but que la maternité, l’accroissement de la population du Reich, voulue par le Führer.
Andreas rencontre dans l’hôtel où il séjourne des journalistes américains. Ces contacts lui permettent de s’aérer l’esprit, de s’affranchir, même fugitivement, de la chape de plomb que fait peser le régime sur la vie culturelle allemande. Un soir, sur la piste de danse du bar de l’hôtel, il succombe aux charmes d’une jeune femme, Susanna Rosenberg, dont il apprendra plus tard le rôle actif dans l’aide à l’émigration des opposants allemands au nazisme…
Pour compléter l’environnement familial, les beaux-parents d’Andreas, Joseph et Marie Bock, sont des ultraconservateurs issus de la bourgeoisie prussienne, militaristes, antisémites. Ils n’apprécient guère leur gendre qu’ils jugent tiède, peu crédible par le métier qu’il exerce.
Beaucoup de constats faits par Michel Goujon au cours du roman sont pertinents ; d’abord que les grandes manifestations sportives sont des éléments de propagande décisifs pour les dictatures : « Le Reich était si fier d’afficher aux yeux du monde entier sa puissance retrouvée, et le grand organisateur de ces jeux d’hiver n’était autre que Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande ! ».
Andreas Kuppler constate aussi, pour tenter de se rassurer, que la célébration de l’appartenance à la race par le sport n’est pas le monopole des nazis : « Le Français Pierre de Coubertin – père des Jeux Olympiques modernes et autorité morale incontestable – n’avait-il pas affirmé (…) que l’athlète doit être le porte-drapeau non seulement de sa patrie mais de sa race ? ».
Andreas n’est pas ce qu’on appelle quelqu’un d’engagé ; il est réservé à l’égard de toute forme de militantisme. Il est membre du parti nazi, il est encarté, mais pas actif. C’est précisément ce que lui reproche Ralph Becker, son patron, qui lui fait comprendre qu’il est suivi par la Gestapo, suspecté de tiédeur envers le régime. Tel n’est pas le cas de son épouse qui, faute de pouvoir accéder à la maternité, milite dans une association La femme et l’enfant, dont les buts sont au service de l’idéologie du régime. A la femme, les trois K : Kinder, Kirche, Küche (Les enfants, l’Eglise, la cuisine).
Pour combler son désir d’enfant, ainsi que son adhésion au régime, son épouse fréquente une auberge,Le Crépuscule des Dieux, dans laquelle des jeunes hommes « aryens », grands blonds aux yeux bleus, perpétuent la « race » germanique. C’est la traduction de l’eugénisme, autre élément de l’idéologie nazie.
Ce qui poussera Andreas à la désobéissance finale, c’est d’abord un constat personnel : la place d’une peur diffuse partagée par tous, intériorisée. C’est aussi la vision de ces manifestations de rues, les saccages de magasins tenus par des Juifs, les autodafés de livres : « Andreas était rentré chez lui d’un pas morne. Il avait lu dans leurs yeux une fascination morbide et une joie élémentaire : celle de la horde primitive ».
A la fin du roman, Andreas désobéit à un ordre des officiers de la Gestapo venus l’arrêter : l’auteur laisse entendre qu’il parviendra à quitter l’Allemagne, et à résister au régime. Ce roman pose des questions essentielles : comment devient-on barbare ? Pourquoi les Lumières s’éteignent-elles, comme le dit Erika Mann, dans une société comme la société allemande, hautement évoluée et cultivée avant l’avènement du nazisme ? Il n’y a pas de réponse, selon Michel Goujon, seulement une appréhension de ces phénomènes. La lecture de ce beau roman contribuera à la réflexion générale sur ce thème.
Stéphane Bret
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