La Conspiration de l’ombre, Steve Berry (par Gilles Banderier)
La Conspiration de l’ombre, Steve Berry, juin 2021, trad. anglais (USA) Philippe Szczeciner, 550 pages, 23 €
Edition: Le Cherche-Midi
Peintre peu doué, Hitler fut également un écrivain en-dessous du médiocre. Les débats autour de l’intérêt ou de la pertinence qu’il y aurait à rééditer Mein Kampf (débats typiquement européens, car l’ouvrage est très largement diffusé dans le monde arabe ou en Turquie) perdent une partie de leur acuité quand on songe que très peu de gens seront capables de lire d’un bout à l’autre cette prose hystérique et nauséeuse. C’est un point de divergence – un de plus – avec Churchill, authentique écrivain (et honoré comme tel), s’ajoutant au fait que le chancelier du Reich ne fumait pas, ne buvait pas d’alcool et ne mangeait pas de viande, tandis que son adversaire ne se privait dans aucun de ces domaines.
Il est pourtant un texte sorti de la plume de Hitler qui luit aujourd’hui encore d’un éclat trouble et maléfique : le dernier qu’il ait écrit, son testament (on en trouvera le texte et une analyse magnifique dans l’ouvrage de Fabrice Bouthillon, Nazisme et révolution, 2011).
Enfermé dans son bunker, cerné d’ennemis qui le massacreraient sitôt qu’il s’aventurerait à en sortir, Hitler n’exprimait dans ce texte bref aucun regret pour les millions de vies sacrifiées et les enfants plus nombreux encore qui ne naîtraient jamais, y compris parmi ses compatriotes. Non, il s’apprêtait à mourir en espérant répandre ses miasmes dans l’avenir. Le pire, comme l’a vu Julien Freund avec une lucidité cruelle (« Il n’y a peut-être pas de conscience collective, mais je me demande s’il n’existe pas un inconscient collectif qui intègre, dans les conduites, des modes auxquelles nous nous croyons consciemment hostiles »), est que cela s’est sans doute produit, entre autres, dans le domaine de la manipulation des masses.
Avec La Conspiration de l’ombre, Steve Berry explore la piste d’une survie non pas idéologique, mais biologique de Hitler. Non qu’il aurait pu vivre après 1945 (les services soviétiques, qui ont ciselé tant de fausses rumeurs, étaient les premiers à savoir qu’il n’avait pu quitter sa retraite souterraine, parce qu’ils avaient fait le nécessaire à cette fin), mais qu’Eva Braun ait pu être enceinte de ses œuvres. L’idée prête à sourire quand on connaît l’état de délabrement physique du Führer durant les derniers mois de sa vie (voir en particulier les mémoires de Felix Kersten, le thérapeute de Himmler), sans même parler des rumeurs d’impuissance dans les années qui précédèrent (au témoignage de son ami Ernst Hanfstaengl, Hitler, les années obscures). Mais il est bien connu qu’on a le droit de violer l’histoire sous condition de lui faire de beaux enfants. La Conspiration de l’ombre est un roman d’espionnage parfaitement conçu – l’auteur n’en est pas à son coup d’essai – ainsi qu’un roman politique qui prend pour toile de fond l’émergence de partis « populistes » un peu partout en Europe, ce qui sape encore davantage la crédibilité du roman en dehors de la narration proprement dite (le « populisme » est un phénomène complexe et il existe des « populismes » de gauche, qui ne sont ni moins dangereux, ni moins antisémites que leurs équivalents de droite). On retiendra cependant cette belle phrase, digne d’être analysée dans les instituts d’études politiques : « Le processus démocratique pouvait être un instrument de contrôle tout aussi efficace que le totalitarisme » (p.385).
Gilles Banderier
Steve Berry, né en 1955, avocat de profession, est notamment l’auteur de : Le Code Jefferson ; L’Héritage des Templiers ; La Conspiration du Temple.
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