La confrérie des chasseurs de livres, Raphaël Jérusalmy
La confrérie des chasseurs de livres, 21 août 2013, 320 pages, 21 €
Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy Edition: Actes Sud
Raphaël Jérusalmy, sur le site de son éditeur, livre au futur lecteur les clés de son ouvrage, ainsi :
« Je tombe sur ceci, à propos du poète François Villon, condamné à être pendu :
Le 5 janvier 1463, le Parlement casse le jugement et bannit Villon de Paris. Nul ne sait ce qu’il advint de lui par la suite.
Comment résister à une telle invite !
D’autant plus que Villon est le héros romanesque par excellence. Téméraire, attachant, tragique, rebelle. Mais aussi farceur, gredin, mystérieux. Parfait pour un récit d’aventures. Et puis Villon, c’est surtout un combat. Des comptes à régler avec le pouvoir, l’injustice, la souffrance humaine. Une épopée de l’esprit et de la lutte pour la liberté. Impossible de cantonner un tel personnage dans un seul lieu, un seul niveau de lecture, une seule intrigue. Enfin, il y a les livres. Autres héros de cette histoire. Et la poésie.
L’invite se transforme vite en défi.
C’est alors que je fais appel à la Confrérie des chasseurs de livres. Constituée d’érudits, de mercenaires, de mécènes, d’agents secrets, elle offre à Villon une mission à la mesure de son génie débridé. Et de son insolence. Mais comme c’est à l’esprit contestataire que mon roman rend hommage, Villon n’obéira pas aveuglément aux consignes et montera son propre coup d’éclat. En franc-tireur.
Ces mêmes chasseurs de livres possèdent un arsenal de manuscrits et éditions dont la diversité abracadabrante me donne toute licence pour inclure en un même volume un conte picaresque, un écrit subversif, un traité de bibliophilie, un roman d’espionnage, un essai de psychologie, quelques poésies et deux canulars. Seule façon de mettre en scène une destinée aussi riche et complexe que celle de Villon sans la priver de sa dimension de légende.
Mon précédent héros s’était mis dans l’idée de Sauver Mozart. Villon, lui, va sauver ce qu’il appelle la Parole. Et par là, tous deux sauvent leur âme, sinon la nôtre. On ne peut sauver la musique qu’en la jouant. Et la parole qu’en parlant. Ou en écrivant. Même des histoires. Surtout des histoires.
Ceci est l’une d’elles ».
On serait bien en peine de mieux tirer la substance de ce roman. Encore peut-on ajouter la dimension initiatique du parcours de François Villon en Galilée. Un François, certes rebelle en l’âme mais assagi en mœurs, qui laisse à son compère Coquillard, Colin, le soin de se livrer à des rapines et de se battre en de nombreuses escarmouches. Comme le précise l’auteur, le récit puise dans des genres différents. On peut se risquer à penser qu’il est de ce fait assez touffu au point que l’on a parfois des difficultés à trouver ses marques, à démêler le faux du vrai, les faits historiques de ceux issus de l’imaginaire, à bien cerner les nombreux personnages et leurs multiples implications. Les manipulations et les complots s’enchaînent et jusqu’au chapitre final les rebondissements s’accumulent. Peut-être trop et pas toujours de manière très crédible, en dépit d’un réel talent à conter l’aventure et d’un énorme travail de documentation.
Cette énième théorie d’un complot juif, dont les armes sont des écrits antiques et qui bénéficie, pour des raisons diverses, de l’appui des Médicis et de Louis XI peut en agacer certains.
Subsiste pour tous un réel plaisir à se glisser dans les pas de Villon, à partager avec lui la beauté et l’immensité du désert que Raphaël Jérusalmy dépeint avec délicatesse et beaucoup de poésie.
« Un berger émerge d’un oued hérissé de hauts joncs qu’aucune brise ne soulage, poussant son troupeau de chèvres vers les marécages qui bordent la mer morte. /…/ L’eau, pétrifiée en une banquise de lumière et de sel, scintille à peine. Les rayons du soleil s’y enlisent, jaspant un moment l’indigo mat de la surface avant d’être happés par les profondeurs ».
On glane au fil des pages de précieux renseignements grâce aux multiples références aux parchemins et livres ayant fait progresser les connaissances et ayant éclairé les esprits, une fois délivrés de la censure apostolique. Les phrases courtes, descriptives, très visuelles, permettent d’imaginer concrètement la Terre Sainte en ce milieu du XVe siècle et le brassage ethnique qui apportait encore plus de complexité et de mystère à la vie derrière les remparts de Jérusalem.
Ce roman richement documenté, foisonnant et inventif, doit se lire attentivement pour pénétrer au cœur du propos de l’auteur, en tirer la substance antidogmatique et ne pas se laisser égarer sur le chemin de la sagesse. Il n’en reste pas moins que l’on peut se demander si la légende de Villon y gagne en « merveilleux ». À chacun de se faire son opinion.
Catherine Dutigny/Elsa
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