La Confession, John Herdman
La Confession (Ghostwriting), avril 2018, 184 pages, 20 €
Ecrivain(s): John Herdman Edition: Quidam Editeur
Léonard Balmain, journaliste écossais, écrivain sans succès est contacté par Torquil Tod, un personnage trouble, qui le charge contre rétribution de rédiger sa biographie.
Tod raconte sa vie, Léonard prend des notes puis en fait un récit, dont il soumet à intervalles réguliers le déroulement à Tod, ce qui donne lieu à d’intéressantes discussions et interrogations sur les statuts respectifs d’auteur, de narrateur, de personnage, sur leurs interrelations, sur ce qui est dicible et ne l’est pas dans un récit biographique, sur ce que l’individu sujet de la biographie veut bien dire et ce qu’il cherche à cacher, sur les raisons pour lesquelles il décide de mettre sa vie en narration, sur la distance entre le dit et le non-dit, sur les omissions, volontaires ou non, sur les mensonges, sur ce que le narrateur voudrait savoir pour donner à son personnage toute l’épaisseur qu’il considère littérairement nécessaire, sur la limite entre biographie brute, biographie romancée, autobiographie, roman biographique…
Il m’était quasiment impossible de composer un récit qui donnât une idée de la vraie nature et de la signification profonde des faits qu’il me demandait de décrire. Il refusait de me laisser voir les contours émotionnels [souligné dans le texte] des événements auxquels il voulait que je redonne vie…
[…]
A la fin de cette période, je constatai que je ne suivais plus les instructions de Tod : inconsciemment d’abord, j’avais recours à la spéculation, remplissant les vides béants de cette matière première par mes propres intuitions et enjolivements, et par des déductions fondées sur ce que je comprenais de plus en plus de son caractère. J’en vins à me dire que si cela continuait j’aurais bientôt composé un récit en grande partie imaginaire – une sorte de roman, en réalité.
La structure narrative est habile, entrecroisant des périodes de pur récit à la troisième personne où le narrateur semble s’effacer, tout en interférant par du commentaire indirect, et des temps longs à la première personne où le narrateur devient personnage, livre son point de vue, son jugement, son questionnement, avec intercalations de ses dialogues avec Tod.
A mesure que le récit avance, il évolue en confession, d’où le titre en français, plus signifiant, par rapport au texte, que le titre anglais Ghostwriter (prête plume).
L’histoire de Tod :
La première partie du récit autobiographique de Tod révèle un homme à la vie professionnelle instable et aux liaisons amoureuses multiples, qui pourtant se marie et a deux enfants, jusqu’au jour où, quadragénaire, il se retrouve seul, son épouse, lasse de son instabilité, ayant fini par divorcer.
Rien de bien palpitant jusque là.
La confession commence vraiment lorsque Tod fait la connaissance d’Abigail, qui le conduira, totalement subjugué, à mener une vie errante ponctuée d’étapes plus ou moins longues dans des communautés sectaires de l’Ecosse profonde et séculairement hantée de fantômes.
Le roman bascule à partir du moment où Todd fait le récit d’un acte horrible qu’il aurait commis avec Abigail dans un contexte satanique.
L’histoire de Léonard :
C’est alors une autre intrigue qui se noue : Léonard devient l’unique dépositaire, le seul « témoin » a posteriori du crime abject. S’installe alors entre le confesseur et le confessé une relation subtile de méfiance croissante entre Tod et Léonard, le premier soupçonnant le second de vouloir le dénoncer à la police, le second suspectant le premier de vouloir le tuer pour faire disparaître la seule personne ayant connaissance de son monstrueux forfait.
L’auteur mêlant le récit de Tod, les ajouts de l’imagination de Léonard, les plongées dans les réflexions spéculatives du narrateur, le lecteur piégé s’emmêle agréablement dans les mailles du filet narratif, ne sait plus ce qui relève des aveux et du comportement psychotique de l’un et ce qui émane de l’esprit tortueux de l’autre qui glisse peu à peu dans la paranoïa, et le suspense et les palpitations sont garantis.
Au lecteur pris par ce scénario complexe à la manière d’Edgar Poe de découvrir le dénouement… s’il en est…
Patryck Froissart
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