La Condition solitaire, Olivier Larizza (par Murielle Compère-Demarcy)
La Condition solitaire, Olivier Larizza, éditions Andersen, mars 2023, 120 pages, 9,90 €
Publiée par les éditions Andersen dans la Collection Poesia, La Condition solitaire nous offre un nouveau rendez-vous avec l’écrivain et universitaire Olivier Larizza (poète, romancier, nouvelliste, essayiste, conteur et dramaturge, enseignant-chercheur à la faculté de Strasbourg, des Antilles puis de Toulon). Rendez-vous d’autant plus rayonnant qu’il était inattendu, puisque le poète de La Mutation, précédemment publiée chez le même éditeur dans la Collection Confidences (2021), nous avait annoncé que « la poésie c’était en quelque sorte fini pour (lui) : (qu’il avait) arrêté avec cette drogue douce ». Il nous expliquait alors que sa situation autobiographique avait amoindri avec le temps la source de son inspiration poétique, le poète étant parvenu à une période de sa vie (comme il la transpose via ses poèmes dans le cycle « La vie paradoxale » amorcé en 2016 avec L’Exil suivi de L’Entre-deux en 2017 puis de La Mutation en 2021).
Là, la fureur de vivre alimentée par le feu de la passion s’était distillée en un état de maturité convalescente correspondant à une situation géographique particulière favorable à l’apaisement des passions premières comme l’amour et l’écriture de poèmes (situation d’exil prolongé dans les tropiques à la fleur de l’âge puis finalisé par un retour définitif en métropole, propice au tarissement progressif du jaillissement et du filet d’eau entretenu par les Muses).
Fidèle à un trait caractéristique familial et, en cela, à une ironie du sort qui nous rappelle l’humour cultivé du poète (celui de dire pouvoir stopper toute entreprise de son choix suivant sa volonté tout en différant presque toujours cette décision au lendemain…), Olivier Larizza nous annonce donc s’être finalement de nouveau attablé au banquet des Muses, reprenant la route pour le plaisir de ses lecteurs/lectrices fidèles et reprenant sa démarche poétique « autarcique qui s’ouvre à autrui » : « And so they pave the way for the continuation », lance-t-il page 12 dans la « Préface de l’auteur ».
Empruntons-nous le chemin adapté à ce que nous voulons faire de notre vie : quel lecteur/quelle lectrice ne s’est pas un jour posé cette question ? Dans la note 5 au poème « Crépusculaire déjà ? », Olivier Larizza s’interroge : « (…) je me demande si ce néo-lyrisme qui tourne sur lui-même comme une toupie est tout à fait sain pour celui ou celle qui le produit ; on est déjà dans la solitude, et en écrivant, certes on la sublime, mais on l’aggrave aussi, on s’y complaît, s’y enfonce ou s’y enferre davantage… C’est le serpent qui se mord la queue ». Ainsi ce journal de bord poétique devient-il une réflexion sur les bienfaits ou non de l’écriture et, par la même occasion, un cheminement dans la connaissance de soi-même.
Achevant de rationaliser son revirement (celui d’avoir finalement repris le stylo pour composer des textes poétiques), l’auteur écrit ces mots que le lecteur saisit dans toute l’étendue de leur profondeur : « Tout cela n’épuise pas, tant s’en faut, l’alchimie imaginative, ce je-ne-sais-quoi qui provoque l’étincelle de création », en précisant qu’un nouvel amour intense a constitué ici l’élément déclencheur du processus mystérieux qu’est l’acte créateur, en l’occurrence l’écriture d’un nouveau recueil poétique.
Souviens-toi de toutes les fois où tu rêvais de vacances
ensemble visiter une ville voler un paysage
à deux Le mettre dans un cristal de Bohème
qu’on retourne pour faire de la neige et aussi dire
(maladroitement) Je t’aime
L’amour (« Amoureux souviens-toi… », se titre un poème) tient une place cruciale dans l’œuvre-vie de Larizza, même si ses textes plus généralement appartiennent à une dimension spatio-temporelle où interfèrent et jouent ensemble l’écriture et l’existence, exécutées de concert en « une sorte de journal intime lyrique où affleurent les sentiments, l’enfance, les autres, la singularité de soi, le sens de la vie, les remords de la maturité… autant de choses qui nous tenaillent ou nous tenailleront tous un de ces jours ». Poésie singulière universelle donc que celle d’Olivier Larizza. Narcisse-Icare sincère « jouant avec le feu de passions et se brûlant les ailes au bûcher des vanités », tout au goût de soi (Icare=I care en anglais… ndlr*) mais en même temps tourné vers les autres, l’auteur tente de réparer par l’onguent cathartique des mots poétiques la vie sur le vif. Le poète Larizza est Narcisse préoccupé d’examiner et de nous faire partager (sans strip-tease sentimental afin de préserver son mystère) ses divagations orphiques.
La « Préface de l’auteur » remplit sa fonction d’éclairage, notamment en nous signalant le nouveau mode opératoire de l’écriture poétique en œuvre dans ce quatrième recueil du Caribéen-Européen. Si la poésie chez Olivier Larizza constitue un moyen d’exorciser un quotidien déroutant ou d’en sublimer – voire travestir – les aspects parfois rugueux, le poète nous précise que La Condition solitaire apporte deux nouveautés formelles : si le modus operandi jusque-là de Larizza s’exécutait dans l’écriture fulgurante du poème, La Condition solitaire s’est écrite, quant à elle, suivant un mode de création davantage réflexif, dans le sens où le poète cette fois « s’est assigné la mission de COMPOSER un recueil en faisant un poème par jour », impliquant un travail d’écriture plus distendu dans le temps avec décantation du réel immédiat et réécritures ; la seconde nouveauté formelle réside pour sa part dans l’ajout innovant de notes en fin de volume visant à éclairer, sans en déflorer le mystère, les circonstances de la narration transfigurée du quotidien incarné dans chaque poème (méthode empruntée par Valérie Rouzeau dans Vrouz (prix Apollinaire 2012) mais que Larizza optimise en prenant soin de ne reléguer en annotation que ce qui peut utilement éclairer la lecture du texte tout en en sauvegardant le jeu des mystères).
Précisant cette seconde nouveauté formelle à l’œuvre dans La Condition solitaire, O. Larizza offre simultanément sa conception du positionnement du poème eu égard à son public ainsi que du point de vue des autres genres littéraires : « Au fond, déclare-t-il, nous n’écrivons pas pour un type de lectrice (notons l’emploi du nom au féminin, O. Larizza ne manquant pas, effectivement, de lectrices qui le suivent) mais pour un type de lecture : celle qui se fait au ralenti ou en profondeur, qui se veut attentive (qualitative) et se trouve être à l’opposé de celle qui prédomine actuellement, et qui lui porte gravement préjudice en conditionnant (formatant) les cerveaux, à savoir celle des écrans ou e-reading (textos, mails, chats, posts, tags, fucks) qui est une lecture hâtive, relâchée, zappée, utilitariste, consumériste. Or on ne consomme pas la poésie ; on la déguste, on la savoure ». À propos du genre poétique et avec humour il souligne : « Assumons le fait que nous n’écrivons pas pour un lecteur lambda (…) mais pour des gens avertis, cultivés, sensibles, raffinés, exigeants (il en reste encore). Ce ne sont de toute façon pas les lectrices de Marc Lévy ou de Guillaume Musso qui me sauteront au cou (…) ».
Si la poésie de Larizza est sans aucun doute lyrique, La Condition solitaire nous révèle une écriture davantage audacieuse dans ses innovations grammaticales et sémantiques, la grammaire de la Langue étant comme nous le savons indissociablement et constitutivement liée à la grammaire du monde, laquelle dépend du regard que nous y portons. Vision et représentation s’entremêlent organiquement, mentalement, viscéralement, d’une façon décisive quelle que soit la part dévolue à l’imaginaire ou à la perception réaliste des choses. La puissance de certains poèmes du recueil, en prise avec notre actualité, résonne en entrouvrant des portes dans le champ de nos représentations et interprétations du monde. L’une des forces de La Condition solitaire réside sans doute dans l’entreprise réussie assignée fondamentalement à l’œuvre poétique : celle d’entrouvrir des portes sur le monde, sans les ouvrir complétement afin de préserver les trésors à ciel ouvert d’une réalité commune aux multiples projections réalistes ou fantasmagoriques suivant la sensibilité des uns et des autres. La Condition solitaire relève ainsi le défi de nous livrer sur la page-palimpseste du Verbe poétique des clés d’accès au monde par la tenue dynamique et lucide d’une grille de lecture sensorielle et subtile, sentimentale et synesthésique, kaléidoscopiquement savoureuse et mystérieuse comme s’ose et s’éclate la vie.
Chez Habibi on m’offrait le thé adora-
bles Syriens qui vous dorlotaient J’ai revu aussi
Thaddée (mon ami rwandais) & Aristie qui
maintenant écrit en grec en plus de l’anglais J’ai
(…)
… on croirait lire du Jean-Paul Klée (objet d’un pastiche p.56), mais rendons à César ce qui appartient à César… il s’agit bien ici de la poésie d’Olivier Larizza mosaïque vivante (peut-être moins lunaire que celle de JPK ?), tapisserie homérique : celle d’une Pénélope imaginée, d’un Ulysse sans retour à Ithaque : une poésie-parchemin en perpétuels allers et revirements aléatoires d’un quotidien déroulé et vécu à la force des sentiments, sous le masque sociétal.
La poésie d’Olivier Larizza est une danse de séduction.
Au sens fort et positif du terme. Une danse de séduction orchestrée par le rire d’un Haut-de-forme couvre-chef de démons immortels (« j’ai renoué avec les démons de l’antan » : ceux de l’amour…), chérissant « la sublime illusion » au pays des merveilles…
je suis quasi tous les soirs sorti renouant avec my
Strasbourg international friends & les rencontres
cosmopolites (au Berlin l’Oktoberfest l’Académie
& le Barco Latino où je reproduisis mon numéro
d’autrefois le Blue Moon aussi [l’ex-Rock City]
sans oublier l’Artichaut & bientôt le Graffalgar)
Mais dimanche dernier me rendant aux urnes
pour faire la nique à notre président brise-burnes
j’ai subi un drôle de coup de Trafalgar :
moi l’universitaire d’État citoyen exemplaire
me voici radié des listes électorales !…
Interdit de voter je suis vexé en colère
« La Mairie ne vous trouvait plus…
– Sauf pour la taxe foncière ! »
L’humour on le sait sauve de la détresse du monde et Larizza n’hésite pas à le pratiquer via le jeu des mots, le jeu avec des situations parfois cocasses ou rocambolesques ; par l’extension – au cœur du texte – de vers anecdotiques compensant la frustration de la pulsion narrative jaillie de l’émotion, induite par le condensé où se doit de se caler tout poème.
Mais le vers de Larizza fuse, flèche lancée sans détours et irradiant sa cible au cœur ou non – peu importe – de la mire. Il touche où ça fait mal, où ça frissonne. Son carquois traverse et fait vibrer de ses traits fulgurants l’existence et ses objectifs, que ce soit Ici ou Ailleurs, là entre décembre 2021 et avril-mai 2022 entre les quartiers toulonnais de la Loubière, Saint-Jean-du-Var, Chalucet, la Mitre et le Mourillon, ou encore dans son Grand Est natal.
N’est-ce pas ainsi que les hommes vivent, quelle que soit la condition humaine… « la condition solitaire », inéluctablement solaire ?
Murielle Compère-Demarcy
* ndlr : note de la rédactrice
Olivier Larizza est un écrivain français d’origine italienne, né à Thionville (Moselle) en 1976. Il enseigne aussi la littérature anglaise à l’université. Il a longtemps vécu à Strasbourg et, depuis 2003, partage son temps entre la capitale alsacienne et la Martinique. Un entre-deux qui influence son œuvre littéraire, laquelle se répartit entre romans, récits, contes, essais et poésie.
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