La Clef rouge, et autres contes cruels et de mort, Maurice Leblanc (par François Baillon)
La Clef rouge, et autres contes cruels et de mort, Maurice Leblanc, éditions Le Visage Vert, septembre 2021, 178 pages, 15 €
Ecrivain(s): Maurice Leblanc
Jean-Luc Buard, préfacier de cet ouvrage, nous dit que Maurice Leblanc aura écrit en tout 395 contes et nouvelles « non-lupiniens ». Trente-cinq d’entre eux ont été réunis ici, tous ont eu une première parution dans la presse, entre 1890 et 1911, avant que certains ne soient recueillis en volume – à ce titre, il faut saluer le travail opéré sur la bibliographie qui figure à la fin du livre.
Ces contes dits « cruels et de mort » nous montrent avec quelle atrocité, et même avec quelle perversité, le destin se joue des espérances et des croyances des individus que nous sommes. La vengeance prend ainsi un tour dramatiquement salé dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, ou dans L’Unique Maîtresse. Tous les espoirs d’une jeunesse tendus vers son avenir conjugal s’abattent brutalement lorsqu’on a la malchance de se trouver mêlé à une mésaventure : ainsi en est-il du Serment (« …elle pensait que la vie est une chose adorable et qu’il n’y a rien au monde de plus doux que l’amour », p.110) ou du Sauvetage, dont l’ironie finale rend le drame encore plus acéré.
Ironie mordante également dans Une bonne surprise, qui frôle l’inimaginable ; et pourtant, la réalité ne se montre-t-elle pas incroyable par moments ? Une rare nouvelle avec laquelle on se trouve aux limites du fantastique est Les Ruines de Buoux et son apparition de Belle au bois dormant. Sa conclusion, basée sur l’inexplicable, crée presque de l’enchantement. Néanmoins, au travers de tous ces drames humains, on ne cesse de relever une critique de la superstition, notamment quand elle est basée sur des chiffres (Au-delà des douleurs humaines, La Mort passa…, Noël tragique), mais également une critique de la lâcheté, comme dans Une promenade ou L’Epouvante. Et cependant, les circonstances sont telles, le départ est parfois si léger, si anodin, voire mutin, que la chute abrupte et sans recours ne laisse pas de voir le sourire sournois, diablement amusé du Destin. Même La Vierge de fer, malgré sa fonction de catharsis libératrice, nous place dans un univers aux frontières d’une angoisse insoutenable.
Maurice Leblanc a le talent de nous envelopper, et on le suit malgré nous, mais volontiers, à chacun de ces contes : on pourrait parfois déplorer son usage un peu trop fréquent d’interjections et d’exclamations, propres à susciter la surprise ou la crainte chez le lecteur. En revanche, on ne peut que reconnaître son observation fine de la psychologie humaine. Et on appréciera aussi cette mise en abyme du métier d’écrivain à travers La Réalité, au sein de laquelle la distance prise est, une nouvelle fois, signe d’amusement. D’ailleurs, une réflexion du nouvelliste nous aiguille vers l’utilité de la distance que nous avons à prendre dans nos pensées : « La nourriture de l’esprit exigerait plus de soins et de minutie que la nourriture du corps. L’excellence de notre conduite dépend de l’équilibre et de la santé de notre cerveau. Or on mâche soi-même ce qu’on mange, mais on se fait mâcher les idées par les autres, et on les avale, bonnes ou mauvaises » (p.20).
François Baillon
Maurice Leblanc (1864-1941), romancier, auteur de nombreux romans policiers, d’aventures et d’anticipation, est surtout reconnu pour être le créateur du personnage d’Arsène Lupin, grâce auquel il donna naissance à dix-sept romans et plusieurs nouvelles et pièces de théâtre. Malgré cette activité intense et sa popularité, Maurice Leblanc a longtemps souffert de l’absence de reconnaissance du cercle des lettres.
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