La chute des princes, Robert Goolrick
La chute des princes, Robert Goolrick, Ed. Anne Carrière, traduit de l’anglais (USA) par Marie de Prémonville, août 2014, 231 p. 20 €
Ecrivain(s): Robert Goolrick Edition: Anne Carrière
Splendeurs et misères des courtisans modernes
Lorsque le roman commence, la chute est déjà consommée. Les premières lignes qui ouvrent le roman sont sans appel :
« Quand vous craquez une allumette, la première nanoseconde elle s’enflamme avec une puissance qu’elle ne retrouvera jamais. Un éclat instantané, fulgurant. L’incandescence originelle ».
Et puis, c’est fini. La flamme devient forte et vivace. Elle monte dans l’air et illumine les espaces sombres. Mais elle a déjà perdu de sa splendeur. Insérée dès le début du texte, voici une métaphore qui en dit long sur le parcours de notre personnage. Elle sonne comme le glas.
En effet, le narrateur, revenu de ses années folles, se pose pour nous conter son histoire. Il a tout perdu et il est ruiné. Son récit, rédigé à la première personne, est sans pathos. Il ne cherche pas à s’amender : « Je ne le dis pas avec fierté. Je ne présente pas d’excuses. Je décris des faits irréfutables ».
Avec lucidité et mêlé d’un certain réalisme, il revient sur son passé et confesse ses erreurs, ses fautes et ses frasques. Il a été trader dans les années quatre-vingt pour la Firme, une entreprise-pieuvre composée de coursiers en bourse et recrutés dans des conditions assez particulières… Il a connu la gloire et s’est enrichi en faisant fructifier le portefeuille de ses clients. Millionnaire avant trente ans, il menait une vie de luxe et de stupre. Dépensant sans compter, il n’adorait que le Dieu Argent. Son monde était fait de stars de cinéma, de mannequins, de boîtes de nuit et de restaurants dont la note était inaccessible pour le commun des mortels. Les premières pages décrivent de façon admirable le narcissisme d’un jeune homme au sommet de sa gloire.
« Si vous aviez été de sortie dans le cosmos un de ces soirs-là, vous vous seriez retrouvé aux premières loges de mes outrances publiques et de mes excès privés. Sous la couette à mille dollars, sur le matelas à quinze mille, dans ma douche carrelée de marbre, ou dans la veste sur mesure en cachemire noir qui me tenait chaud les soirées neigeuses d’hivers – dans ma vaste illumination, j’étais incontournable. (…) J’avais tellement de charme que j’aurais convaincu un poussin d’éclore, ou vendu la clim à un Esquimau mort ».
Accros aux drogues et à l’alcool, le jeune prodige est alors licencié. Il avait à peine trente ans :
« Autrefois, le désir était libre et la peau d’une douceur indicible. Tout ça a disparu. Plus d’invitations à danser, car la musique s’est tue. Le ciel azuréen, l’eau limpide s’en sont allés ».
Alors commence la chute irrésistible, vertigineuse…
Dans la même lignée que Gatsby, le Magnifique ou encore American psycho, le roman de Robert Goolrick renoue avec le thème de la perte de soi, de la servitude liée à l’argent au détriment de l’être. Le narrateur, à la différence d’un Gatsby, ne sait pas se mettre à l’écart des feux de la rampe. En revanche, le texte de Robert Goolrick et les péripéties de son personnage trouvent un écho au roman de Bret Easton Ellis. Tous deux situent l’action dans les années quatre-vingt où les golden boys sont considérés comme des divinités modernes, des génies au corps parfait et aux mains d’argent. De sorte que le narrateur semble être le frère jumeau de Bateman.
Le style de Robert Goolrick contribue à durcir le caractère impitoyable de cet univers sans concession car narcissique jusqu’à l’absolu. Caustique, humoristique, dramatique à souhait, chaque mot, chaque verbe est pesé pour traduire la cruauté de ce monde aux lumières artificielles. La subtilité de l’auteur est d’éviter de tomber dans la morale dichotomique afin de seulement retracer le parcours chaotique d’un trader. Sa chute et sa prise de conscience sont déjà, pour l’auteur, des indices suffisants pour souligner les symptômes d’une société malade.
En conclusion, le lecteur se trouve là devant une œuvre profonde et percutante car, comme le remarque judicieusement la quatrième de couverture : « Robert Goolrich offre une chanson de geste aux démons fondateurs du libéralisme. Dans l’incandescence, l’indécence et la chute, il a trouvé la beauté ».
Victoire Nguyen
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