La Chanson du Mal-Aimant suivant Mai, Jean-Louis Bailly
La Chanson du Mal-Aimant suivant Mai, mai 2014, 55 pages, 9,50 €
Ecrivain(s): Jean-Louis Bailly Edition: Editions Louise Bottu
« Et je chantais cette romance / En 1903 sans savoir / Que mon amour à la semblance / du beau Phénix s’il meurt un soir / Au matin voit sa renaissance /
Voici la chanson qu’on chantait / L’an trois sans trop pouvoir savoir / Qu’amour pour moi avoisinait / Un piaf jamais mort mort un soir / Au clair matin toujours il naît / »
Jean-Louis Bailly qui ne manque pas de talent, fait sienne la saison de l’Oulipo et marche avec insouciance sur les pas ailés de Georges Pérec. Un pied dans La Disparition, l’autre dans La Chanson d’Apollinaire, pour un double plaisir, l’original et son double. Principe retenu celui du lipogramme, cet exercice de haute littérature consistant à priver un texte d’une lettre. Point de « e » dans ce Mal-Aimant, et mille mots qui sautent à la marelle tracée à la craie blanche par la main d’un garnement qui n’en est pas à un tour littéraire près. La privation décidée fait naître quelques réjouissantes apparitions littéraires, des mariages surprenants, comme celle de l’amour chez Apollinaire des envolées lyriques et tremblantes.
« Mars et Vénus sont revenus / Ils s’embrassent à bouches folles / Devant des sites ingénus / Où sont les roses qui feuillolent / De beaux dieux roses dansent nus /
Mars Cupidon n’ont disparu / Bisous dingos vibrants suçons / Sur un fond pour chromo cucul / Où sous l’abondant martagon / Un sylvain rosi dansait nu »
Jean-Louis Bailly qui ne manque jamais d’humour et d’affabulation se livre là à un exercice stimulant d’écriture sous contrainte, ouvrant grand le livre des mots d’argot, rares, drôles et pétillants, qui bousculent les poèmes d’Apollinaire avec la folle envie de « les gâter » et avec « le plaisir douteux de martyriser la langue française ». Un peu comme si Audiard s’aventurait à jouer les trouble-fête avec La Chanson de Roland. On ne saurait mieux rêver d’un tel projet né d’un esprit piquant et galopant qui saute à cloche-pied d’une image à l’autre, d’un mot à un autre, qui se joue des strophes, comme unsacripan londonien (qui) divague du doux matin au soir navrant et passe de la terre au ciel après avoir lancé au hasard son chaillou dans cette marelle poétique.
« Je me souviens d’une autre année / C’était l’aube d’un jour d’avril / J’ai chanté ma joie bien-aimée / Chanté l’amour à voix virile / Au moment d’amour de l’année /
Un an lointain jubilation / Au grand matin d’un jour d’avril / Où nous chantions Satisfaction / Chantions l’amour d’un ton viril / Aux mois si courts où nous aimions / »
Jean-Louis Bailly a toutes les bonnes raisons de penser que sa Chanson ne quitte plus d’un quintil celle d’Apollinaire, avant qu’un autre voyou qui ressemble à un écrivain ne s’en saisisse à son tour.
Philippe Chauché
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