La Capture, Mary Costello (par Patrick Devaux)
La Capture, Mary Costello, août 2020, trad. anglais, Madeleine Nasalik, 272 pages, 19,90 €
Edition: Seuil
Certes, c’est un roman, mais c’est, avant toute chose, une certaine façon d’écrire très personnelle : « Il poursuit son chemin. Les arbres l’apaisent. La vue d’un arbre, surtout en hiver, la silhouette nue qui se découpe contre le ciel, une splendeur. Il s’arrête, caresse un tronc. Jeune, fragile, innocent ». L’écriture s’active dans une sorte d’instantané même quand le passé est évoqué, ce qui m’a parfois fait songer à Duras.
Cette façon très personnelle de présenter le roman, avec souvent des personnages en introspection d’eux-mêmes, donne récit à cette âme profonde qui révèle une plume.
Ce n’est, toutefois, nullement un style donnant une apparence édulcorée, ni dans le ton, ni dans le sujet : « Il se souvient de la peur qu’il a eue la fois où il a mangé des asperges donnant à sa pisse une forte odeur de soufre ». Les images sont prises « en direct », scénarisées.
Les jalons du roman sont posés avec une habilité progressive menant à l’intrigue d’un couple subissant à la fois la tragique ambiance d’un vécu pseudo familial ancien et le passé affectif et/ou sexuel des protagonistes, Luke, le personnage principal vivant, en ce sens, une sorte de huis clos personnel où se révèle une dualité d’être vraiment lui-même dans ses accomplissements.
Tout y passe : de la relation toxique de la tante à héritage exercé en chantage à la quête de l’Amour absolu quand tout entre les personnes devient sujet à questionnement.
C’est que « l’âme est la forme des formes ». Cette dernière citation de Stephen Devalus (alter-ego de Joyce dans ses romans) citée par l’auteur et pensée par le héros convient bien à l’ambiance du couple qui se rencontre.
Peut-on transposer les griefs réels ou supposés d’une génération à l’autre ?
Mary Costello observe admirablement l’ambiance de la très terrienne conservatrice société irlandaise y mêlant vécu et secrets retenus.
La simplicité des événements encourus est exprimée avec un certain sens du drame évoqué en parallèle, révélant la complexité de nos réactions ainsi que, dans nos vies, les brefs coups de canif du destin qui parfois engendrent d’irréparables blessures.
D’apparence simple, une lecture attentive de l’œuvre en révèle la force, la fissure psychologique et la grande intelligence d’écriture très mature, pensée autour de l’œuvre de Joyce : « Il est convaincu que son âme – que chaque âme – contient une représentation archétypale de l’éternité, depuis la nuit des temps, et qu’à l’instant où elle quittera son corps il se débarrassera de ses oripeaux de chair tout en laissant une chose derrière lui : son entéléchie ».
Peut-être est-ce là-même le destin de l’écrivain et qu’au contraire, in fine, il laisse trace de son âme parmi les vivants. Le signifié et le signifiant de toute chose rendent évidente l’approche de Joyce dans l’œuvre de l’écrivaine.
La capture de celle-ci en serait-elle la clé ?
D’apparence simple dans son sujet traité, la lecture de ce roman se manifeste vraiment à en lire les références complexes, le défi de l’auteur étant d’y mettre les marges nécessaires pour être comprise, plusieurs lectures en étant certainement possibles en parallèle avec aussi celle de James Joyce, en rappelant son œuvre presque centenaire et la plus connue : Ulysse, avec ses héros très humains. Le défi du style en rajoute en ce sens à admirer, je suppose bien, le grand écrivain.
Patrick Devaux
Irlandaise, originaire de Galway, Mary Costello vit à Dublin. Elle est l’auteur d’un recueil de nouvelles, The China Factory (2012), largement acclamé par la critique anglophone. Son premier roman, Academy Street, a reçu l’Irish Book of the Year Award 2014, décerné pour la première fois à une femme.
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