La beauté du métis, réflexion d’un francophobe, Guy Hocquenghem
La beauté du métis, réflexion d’un francophobe, avril 2015, préface de René Scherer, 248 pages, 22,90 €
Ecrivain(s): Guy Hocquenghem Edition: Serge Safran éditeur
C’est en 1979 que La beauté du métis est publié pour la première fois, et c’est en avril 2015 que le texte est à nouveau publié par Serge Safran éditeur. C’est l’heur de (re)lire un texte qui présente de multiples intérêts à différents titres. Mais en 2015, c’est surtout l’occasion de pouvoir comparer les audaces littéraires de la fin des années 70 à la frilosité ambiante. La liberté d’expression est ici à l’œuvre, servie par une maîtrise littéraire au service d’une dialectique sarcastique qu’on aurait du mal à repérer dans la profusion éditée de nos jours. Une liberté d’expression qui sous-tend un amour de la France et de sa culture, mais qui ne rend pas aveugle pour autant, aimer la France et sa culture suppose alors quelques conditions : Guy Hocquenghem écrit donc la « france » sans majuscule, parce qu’il place ce pays et sa culture au-dessus de tout. Et c’est la raison pour laquelle il n’eut de cesse de vilipender, de moquer, de railler ou de mépriser ce qui, dans cette actualité des années 70, renvoyait à une certaine médiocrité.
Mais qu’on ne se méprenne pas : cet amour « conditionné » n’a rien à voir avec l’exclusivité dont certains, et ils sont bien plus nombreux aujourd’hui, se réclament, bien au contraire. Et en effet la première phrase du livre donne le ton, et n’en déplaise aux amoureux frileux de l’hexagone, Guy Hocquenghem n’y va pas par quatre chemins : « Nous n’aurons jamais la poignante beauté du métis. Nous, Français, sommes nés aveugles dans le monde clos d’un pays sans rencontres, sans métissages». L’amour de l’autre, la richesse qu’il est susceptible de nous céder, tel est le credo de l’auteur qui se demande un peu plus loin « comment font-ils pour ne pas t’aimer ? » en parlant des français, là encore sans majuscule. Et quelques pages plus loin, le philosophe d’affirmer que « l’étranger », c’est cette chance magnifique, même si elle est vécue dans la misère, d’être « avec » l’ailleurs, d’être non pas soi-même ailleurs mais un autre ailleurs. La « France » des années 70 et celle de 2015 sont certes bien différentes, la condition de l’immigré n’est plus celle qui alors prévalait jusqu’au premier choc pétrolier : la fin des trente glorieuses rendait nécessaire une main d’œuvre immigrée que la première crise pétrolière (et les suivantes) a montré du doigt. Pour autant, semble écrire l’auteur, ne tournons pas le dos à cette richesse culturelle que nous apporte cette immigration. Guy Hocquenghem déplore une « France » frustrée d’invasions, qui n’a jamais cherché qu’à se préserver et se conserver. Les invasions auraient fait de nous, poursuit-il, des êtres remodelés, batârds, donc riches d’une pluralité culturelle. « Le nationalisme français, où l’Etat incarne la nation, ne répugne qu’aux métissages, pas aux collaborations » !
Guy Hocquenghem ne s’en tient pas qu’au sociétal, le socle de la culture, la langue, qui devient culture est un élément dont il s’empare pour en dire le plus grand bien (il faut défendre la langue) et le plus grand mal quand elle est utilisée pour maîtriser, voire humilier l’Autre. « La langue française, c’est l’argenterie des grands jours tous les soirs de la semaine, l’occasion d’humilier quelque rastaquouère. La littérature française, fragile étagère de bibelots, n’est là que pour attester du génie du langage qui les a produits. Ne touchez pas à la langue, matricide ! »
A l’inverse d’un monde qui voit les murs s’édifier sans aucune honte, Guy Hocquenghem croyait et espérait des frontières matérielles ou culturelles qui s’estomperaient, un monde qui abattrait les barrières, et cet espoir l’autorisait à railler le bon esprit, le bon droit, qui favorisaient hier comme aujourd’hui la médiocrité.
Guy Donikian
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