La barbe ensanglantée, Daniel Galera
Ecrit par Cathy Garcia 08.10.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman, Gallimard
La barbe ensanglantée, mars 2015, traduit du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, 512 pages, 24,90 €
Ecrivain(s): Daniel Galera Edition: Gallimard
Fascinant ce roman, et puissant, il se déroule de façon un peu heurtée parfois, ou bien cela vient peut-être de la traduction, mais très vite on se retrouve comme hypnotisé par son mouvement, un balancement entre ressac océanique et l’ondulation du serpent.
Le personnage principal n’est pas le narrateur et on ne connaîtra pas son nom. L’auteur use de la troisième personne pour en parler, mais pourtant très vite on a vraiment l’impression d’être à l’intérieur de sa tête. Déboussolé par la perte de sa petite amie qui l’a quitté pour son frère, à qui il ne veut pas pardonner cette trahison, puis par le suicide de leur père, dont lui seul a été prévenu par le père en personne, qui l’a fait venir juste avant de passer à l’acte, pour lui faire promettre de faire piquer sa vieille chienne, pour qu’elle ne souffre pas de son départ. Et qui a remis aussi sur le tapis le mystère de la disparition de son père à lui, le grand-père donc du personnage principal, qui aurait été assassiné dans une petite commune au bord de l’océan au sud du pays.
Comme une graine qu’il aurait semée de père à fils, juste avant de tirer sa révérence, et le petit-fils donc, plante tout, son appart et son travail à Porto Allegre, pour aller vivre lui aussi à Garopaba, dans un tout petit appartement humide, à quelques mètres de ce qu’il reste de l’ancien port de pêche. Un appartement où aurait vécu aussi son grand-père. Sans trop savoir ce qu’il cherche vraiment, il tente de se renseigner sur celui-ci, mais très vite à la simple évocation de son nom, les visages se ferment. De plus lui-même est atteint d’une pathologie étrange et handicapante, la prosopagnosie, l’impossibilité de se souvenir des visages, pas même du sien. Ce qui rajoute à l’étrangeté de sa situation.
Comprendre ce qui est arrivé à son grand-père, dont il est en plus le portrait craché, commence cependant à tourner à l’obsession et c’est de cette quête dont il est question tout au long de ces 500 et quelques pages. Le personnage principal s’y absorbe au point d’en faire une quête d’identité quasi métaphysique dans laquelle il va sombrer peu à peu, comme dans une sorte d’auto-envoûtement.
C’est un athlète, très physique et très bon nageur, il trouvera vite un poste d’entraîneur dans la nouvelle piscine locale, puis un petit groupe de personnes désirant être entraînés à courir. Se partageant entre ces activités et la nage dans l’océan par tous les temps, un semblant d’équilibre se met en place, même s’il lui est difficile de nouer de véritables liens, à cause de son problème de prosopagnosie, dont il n’a pas envie de parler. C’est encore l’été, mais bientôt l’hiver arrive, les touristes partent, ne restent que les autochtones et divers personnages un peu en marge, plus ou moins paumés.
Il se fera deux copains, de beuveries surtout, dont un bouddhiste, et des femmes aussi vont croiser sa route, mais ce sont comme des rendez-vous manqués, creusant toujours plus en lui le goût de la solitude, comme un vide, obstinant. S’occuper de la chienne de son père aussi est devenu une obsession, même après que celle-ci se soit fait percuter par une moto, au point de ne peut-être plus jamais pouvoir remarcher, mais il y passera tout l’argent et l’énergie qu’il faut, cette chienne ne doit pas mourir, malgré la promesse faite à son père, peut-être parce qu’avec elle c’est tout une part de lui-même qui disparaîtrait ?
Avec ce roman on entre aussi au cœur de la vie et des changements en cours dans ce village de pêcheur qui s’est vu transformé en station de tourisme estival, la pêche allant toujours déclinant, où le temps se divise désormais entre belle saison et l’hiver où la vie y est plus difficile. Déprimante même pour beaucoup. Passer un premier hiver à Garopaba peut ressembler à un passage initiatique.
Entre passé et présent, légendes et superstitions, rêve et réalité, un quotidien d’une extrême banalité et une brutalité sous-jacente qui couve en permanence, notre personnage principal, par une sorte d’obstination, se retrouve à perpétuer lui-même les vieilles histoires, dans lesquelles il s’empêtre comme un poisson pris au filet.
Mais découvrir la vérité, c’est aussi découvrir ce que l’on ne veut pas savoir.
Père, fils, grand-père, quelque chose dans le sang comme une violence vraiment primitive, une puissance qui gronde dans les veines comme un océan. Comme un océan en pleine nuit, noir et plein de sa force colossale, comme la vie quand il faut savoir se relever et vraiment savoir nager pour ne pas y laisser sa peau, ou pire encore.
La barbe ensanglantée est un roman dense et riche dans la profusion de détails sans jamais être ennuyeux, un de ces romans qui imprègnent fortement, comme des odeurs d’embruns qui mettent du temps à se dissiper. Un goût de sel, de sang et d’amertume.
Cathy Garcia
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A propos de l'écrivain
Daniel Galera
Daniel Galera, né en 1979 à São Paulo, est l’un des auteurs les plus prometteurs de la littérature brésilienne actuelle. Pionnier de l’utilisation d’internet dans le champ de la création littéraire, il a animé des fanzines électroniques et fondé la maison d’édition indépendante « Livros do Mal ». Auteur prolifique, il s’essaie aussi bien au roman qu’au conte, à la nouvelle ou à la bande dessinée.
Bibliographie : Laila, dans Brésil 25. Nouvelles 2000-2015, anthologie dirigée et préfacée par Luiz Ruffato, Métailié, à paraître en 2015, traduit par Emilie Audigier ; Cachalot, avec le dessinateur Rafael Coutinho, Cambourakis, 2012, traduit par Dominique Nédellec ; Paluche, Gallimard 2010, traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli.
A propos du rédacteur
Cathy Garcia
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Rédactrice
Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)
Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse
Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié, Actes Sud
Née en 1970 dans le Var.
Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.
A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com
Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :
http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/
Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes, mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :
http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com
Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :