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La Barbarie, Jacques Abeille

Ecrit par Ivanne Rialland 16.02.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Attila, Roman

La Barbarie, Jacques Abeille, octobre 2011, 123 p., 15 €

Ecrivain(s): Jacques Abeille Edition: Attila

La Barbarie, Jacques Abeille

Le volume précédent du Cycle des contrées avait laissé le narrateur sur le point de retrouver sa ville natale de Terrèbre, après son long périple au pays des jardins statuaires à la suite des barbares. À sa grande surprise, l’invasion barbare semble n’avoir pas laissé de traces à Terrèbre : dans cette société nouvelle désireuse d’oubli, le professeur a bien du mal à retrouver sa place. Très vite, incarnant un passé gênant pour ce qui se révèle une dictature feutrée, il devient un élément perturbateur qu’il va s’agir d’effacer, de reléguer au plus obscur de la cité.

L’atmosphère kafkaïenne de ce bref appendice aux Barbares n’est pas sa partie la plus originale : une fois encore, on est plutôt fasciné par les symétries et les renversements sans fin qu’établit savamment Jacques Abeille autour du livre central du cycle que sont Les Jardins statuaires. Ce livre d’un voyageur anonyme, que le professeur a traduit dans la langue de Terrèbre, hante le nouveau volume et cause la perte de son traducteur accusé d’en être l’auteur. Plus discrètement, les statues connaissent un nouvel avatar. La sculpture, dissimulée aux profanes, comme dans Les Jardins statuaires, est cette fois l’œuvre d’une femme, et la déchirure qui ouvre leur forme est à la fois un symbole érotique et le symbole esthétique du fonctionnement d’une œuvre « à secrets », dont le « creux d’ombre » est l’âme (p. 65).

Si d’emblée La Barbarie se présente comme le symétrique inverse des Barbares, comme l’explicite le narrateur : « on se trompe sur le sens des événements ; nous ne nous éloignons pas de la barbarie, nous y allons », les parallèles jouent à de nombreux autres niveaux, telle l’évocation dans le texte des œuvres de Léo Barthe, pseudonyme de Jacques Abeille. Plus profondément se rejoue là la dialectique entre la mémoire et l’effacement qui habite les autres volumes : le livre des Jardins statuaires est un livre de mémoire, le dernier des jardins détruits, le professeur accompagne les barbares dans leur progressive dissolution, se chargeant, par ses notes, d’ériger un livre à leur mémoire, livre que les circonstances de son retour à Terrèbre ne lui permettront pas d’écrire. La Barbarie semble rejouer le mythe fondateur qu’esquisse l’album des Mers perdues(Abeille/Schuiten, 2010) où des explorateurs découvraient l’origine de la culture des statues : déjà, les ruines de villes modernes laissaient lire le combat féroce de la civilisation contre ce bourgeonnement titanesque de la terre, tandis que l’étonnement des explorateurs marquait l’oubli dont elle avait su le recouvrir. La statue, à la fois monumentale et charnelle, fait obstacle à la technicité sans mémoire de nos civilisations que l’auteur, dans La Barbarie, désigne assez nettement.

Cependant, il ne faudrait pas y lire un simple plaidoyer conservateur pour la culture : ce serait oublier à notre tour la leçon desBarbares, où l’universitaire se fait humble face à la beauté de l’éphémère que sait saisir le cavalier.


Ivanne Rialland


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A propos de l'écrivain

Jacques Abeille

Jacques Abeille, né en 1942, est écrivain et peintre. Il est membre du groupe surréaliste Parapluycha fondé en 1966 par Pierre Chaveau.

Il poursuit à l’heure actuelle Le Cycle des contrées, inauguré avec les Jardins statuaires (1982, rééd. Attila 2010) : après l’album Les Mers perdues (avec François Schuiten, 2010) et Les Barbares, un nouveau volume, La Barbarie, vient de paraître chez Attila (octobre 2011).


A propos du rédacteur

Ivanne Rialland

 

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Rédactrice


Ivanne Rialland est écrivaine et chercheuse. Elle travaille à l'heure actuelle à l'université de Versailles-St Quentin en Yvelines.