L’œil de Paris, Jean-Philippe Charbonnier
L’œil de Paris, novembre 2014, préface Emmanuelle de L’Écotais, 86 pages, 80 photographies, 10 €
Ecrivain(s): Jean-Philippe Charbonnier Edition: SéguierL’œuvre de Jean-Philippe Charbonnier (1921-2004) est injustement méconnue du grand public. L’exposition Jean-Philippe Charbonnier – L’œil de Paris tenue au Musée d’Art moderne de la ville de Paris (novembre 2014/février 2015) et dont le présent ouvrage constitue le catalogue, est un bel hommage rendu à l’un des plus grands photographes français de la société d’après-guerre.
Emmanuelle de L’Écotais qui a dirigé le livre et qui en signe l’éclairante préface, « Jean-Philippe Charbonnier ou l’art du grotesque en photographie », analyse les raisons de cette injustice qu’elle qualifie d’« erreur historique ».
Alors qu’il est publié depuis 1945 et qu’il travaille à plein temps pour la revue Réalités à partir de 1950, Charbonnier ne fait pas partie des 500 photographes réunis au MoMA lors de l’exposition d’Edward Steichen intitulée The Family of Man (1955). Désignée à l’époque comme la « plus grande exposition photographique de tous les temps », elle parcourt ensuite pendant une dizaine d’années le monde entier (Allemagne, Japon, Australie, Afrique du Sud…) et elle est vue par près de 9 millions de personnes. Si Charbonnier n’en est pas, ses compatriotes Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau ou Edouard Boubat sont du voyage…
De plus, Emmanuelle de L’Écotais rappelle que cette exposition s’était donnée comme fin, dans un élan considéré comme « tendre » et « optimiste » par Roland Barthes, d’« expliquer l’homme à l’homme et chacun à lui-même ». Or la photographie de Charbonnier est loin de tout idéalisme et ne laisse que peu de place aux bons sentiments ou au réalisme poétique qui caractériseront, par exemple, le travail de Doisneau. Les photographies de Charbonnier sont sans concession, ne restituent pas les sujets qu’elles saisissent dans ce qu’ils ont de plus beau ou de plus tendre. Elles ont même parfois été perçues comme « dures ». Parmi les 80 photographies ici réunies, plusieurs viennent attester du caractère brut, sinon brutal et provocant de ses images dont les titres et les légendes redoublent la force. A titre d’exemple,Couple croyant regarder la tour Eiffel, place de l’Etoile, Paris, 1979, ou Quasimodo is back in town, Paris, 1979, manifestent la volonté de saisir les sujets sous leur plus mauvais angle.
D’autre part, l’esthétique de Charbonnier ne correspondait pas au goût américain dominant après-guerre. Alors que lui cultive un grain flou de l’image synonyme de naturel (Un enfant flou, Paris 20e, 1947), on lui demande des photos nettes, au grain fin. Le caractère grotesque de certaines de ses photos (« L’habitué des toilettes, Métro, 1981 », « La promenade des Anglais, rue Saint-Denis, 1979 ») le relègue aussi au second plan par rapport à ses confrères « humanistes ».
Il n’en reste pas moins que Charbonnier est un photographe d’une polyvalence rare : grand reporter de presse, il travaille aussi pour la publicité et la mode (Bettina la plus belle, Paris, 1953). Il photographie avec la même aisance les scènes de la vie quotidienne (La veille du bac II, Paris 15e, 1950) que les moments historiques (14 juillet 1945, Place du Bourg-Tibourg, Paris, 4e). Ses photos, en décalage avec l’esthétique de son temps, ont encore aujourd’hui une force et une modernité indéniables. Ce joli petit livre convaincra quiconque pense le contraire.
Pour prendre connaissance de ses photographies, voir le site de la galerie Agathe Gaillard :
http://www.agathegaillard.com/Jean-Philippe%20Charbonnier.html
Arnaud Genon
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