L’Iris sauvage, Louise Glück (par Philippe Leuckx)
L’Iris sauvage, Louise Glück, mars 2021, trad. anglais (USA), Marie Olivier, 160 pages, 17 €
Un prix Nobel glauquissime. Un traité de désespérance ?
Un Glück glauque, à se flinguer. Un livre du temps du Covid. Woolf revisitée.
L’Iris sauvage signe la responsabilité d’un dieu absent dans le naufrage humain. A force de plantes, dans un jardin souillé, entre aubépines et coréopsis, l’âme est bien sauvage, plaintive, inutile, sans place sans dieu, sans référent. Le jardin symbolique est poussif et la douleur là derrière la porte du vivre.
Glauque, inutile, l’âme ? Glück en est persuadée, avec sa froideur entomologique, sa désespérance de petite vieille qui scrute le ciel sans ciel, le jardin sans âme, et sa pauvre vie.
On dévide l’absurde ruban de l’existence sans existence, cloué dans un jardin, on n’ouvre pas les portes, on s’inhume avant que de naître.
Irrespirable, à l’aune des fleurs de ce jardin diabolique.
On se dit voilà ce qu’une âme peut penser.
On se dit que c’est court et injuste.
On se dit que ça manque de cœur. D’enfant. D’espérance.
On étouffe dans cet « iris ».
Que dire d’autre ?
Oui, le lecteur étouffe sous autant de plantes symboliques.
L’iris de l’œil ensauvage le regard, déforme.
Nombre de ces poèmes – qui signent peut-être aussi la fin d’un amour, de toute vie – ordonnent la finitude comme sens : la saison qui ne verra pas le mûrissement des tomates ni l’éclosion des lys ; la poète qui « se sait en train de mourir » se verra « enterrée pour libérer sa splendeur ».
Chaque poème, titré, va des « vêpres » aux « aubépines », décrit en une page, guère plus, une vision pessimiste du monde, qui n’est vu que par le biais de sa fin.
Mais pourquoi/ commencer quoi que ce soit/ si près de la fin ? (p.135)
Au fil des saisons, les unes chassant les autres, la poète consigne ses humeurs, ses noirceurs, sans aucun espoir de perdurer ; la réflexion sur la création (un dieu absent ? Un créateur sans joie ? Un divin qui vous abandonne) innerve chaque texte et le lecteur plongé dans ces affres ne sait plus à quelle nature se vouer.
L’écriture poétique n’est pas en cause, ce serait plutôt le ton incessamment ténébreux, désenchanté. La langue, fluide, serre son propos, réitère ses visions de deuil, qui sait ?
Le regard pour être personnel et tranchant avive une poétique de la perte. L’éternité de la dernière page est aussi fausse que le terme qui la signe : ironie ? Point de chute ?
La réponse figure, en page 105 : vous verriez : le vide du paradis/ réfléchi sur terre, les prés/ de nouveau vides, sans vie.
Philippe Leuckx
Louise Glück, née en 1943 à New York, est une poète américaine. Elle enseigne à Yale et à Stanford, et a publié douze recueils de poèmes. Œuvre récompensée par de nombreux prix. Prix Nobel de Littérature 2020.
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