L’invention des miroirs, Mérédith Le Dez (par Yasmina Mahdi)
L’invention des miroirs, Mérédith Le Dez, éditions Des femmes-Antoinette Fouque, janvier 2025, 236 pages, 18 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque![L’invention des miroirs, Mérédith Le Dez (par Yasmina Mahdi)](http://www.lacauselitteraire.fr/cache/com_zoo/images/meredith-le-dez-l-invention-des-miroirs_3a761a3bb9166a65f1b0c99d2f2f2b80.jpg)
La femme sans nom
Une femme, Laurence Metis, émerge d’un coma et se pense une autre, une petite fille, oubliant qui elle était. Elle se transforme en une malade sans nom pour l’administration, une femme perdue. À travers les bribes de souvenirs d’une enfance humble, Mérédith Le Dez nous fait déambuler entre présent flou, anamnèse et passé troublé. N’oublions pas qu’un nom de famille a des racines patronymiques, transmis sur plusieurs générations, et que le nom et le prénom sont des attributs qui nous identifient, encadrés par la législation. Ces identifiants nous affilient au monde et à la société. Les confondre sont les conséquences, soit d’un choc violent, de l’amnésie, soit de la falsification d’identité.
Dans le roman, plus de quarante ans séparent Isaure Clément de Laurence Metis, dont les identités devenues floues, poreuses, se juxtaposent et se brouillent. Et c’est à travers ce labyrinthe complexe qu’Isaure-Laurence se débat et déroule son fil d’Ariane. L’héroïne de l’histoire épelle les noms de ses camarades de classe, décrit les étapes et les anecdotes de son apprentissage scolaire, réalité qui a quelque chose de sociologique. Cette perspective, du point de vue de la fillette Isaure, à l’énigmatique parenté, se fixe sur des micro-événements communs à l’enfance, relatés de façon émouvante, avec les confidences un peu folles des filles entre elles, l’ignorance ou la perfidie des garçons, face à l’étrangeté du monde adulte.
Les faits historiques marquants, l’actualité, les coïncidences qui unissent et façonnent une génération, se retrouvent dans les lectures communes, la mode, les mœurs, les programmes de l’éducation nationale, etc. Ensuite, tout se disloque, se confond, disparaît, devenu « fantôme qui pour les autres au fil du temps pâlit, s’effaça, se confondit tout à fait dans les mémoires infidèles avec le passé, une sorte de brouillard indistinct, parfois traversé d’une voix énigmatique, d’un sourire fugace, à mesure qu’avançaient les jours, les mois, les années et que se disloquait la classe, chacun vaquant, solitaire, à son destin singulier » – belle définition de l’existence sur terre et de la mort. L’autrice retisse, recombine, reconvoque, ressuscite les disparus, dans une atmosphère de l’âge tendre, période qui n’est ni exempte de cruauté ni d’obscénité ; société réduite avec ses complots, ses stratagèmes, ses nuisances, son innocence aussi, où chaque acte « n’était qu’un jeu arrêté à la frontière entre pudeur inquiète et excitation sensuelle ».
Que reste-il de l’héritage familial ? Des mythes, des affabulations, des rituels, des secrets inaudibles, tatoués parfois au fer rouge… En spéculum d’elle-même, face à un miroir auto-réfléchissant, Mérédith Le Dez projette de multiples facettes dans la fiction. Les dates, les heures, les désirs, les regrets, les mésaventures, clignotent comme autant de signaux réfractés dans le kaléidoscope de la mémoire : « Une horloge murale à cristaux liquides identique à celle du sous-sol affichait en vert aveuglant la date et l’heure. (…) Dans la lumière jaunâtre des ampoules nues, elle distingua une porte ouverte sur une autre pièce en face de celle où, à son corps défendant, elle avait été recluse plusieurs heures ». C’est à ce moment-là que l’avenir de la jeune fille identifiée comme Isaure bascule.
Des indices récurrents scandent l’histoire saisissante d’Isaure, entre épreuve et témoignage, dans un long épisode du roman. Des personnages divers traversent la vie de l’adolescente, parfois tragiques. La protagoniste, Laurence Metis, traumatisée, s’affirme (au féminin), à travers son double Isaure Clément. Au final, il s’agit d’une émancipation, afin de se libérer des tutelles et du poids du passé, tout en réfutant les « promesses fallacieuses d’un bonheur conjugal » ; et surtout, de transformer ces vestiges du temps, ces configurations chaotiques en écriture… Notons l’emploi du subjonctif imparfait (hélas, rare de nos jours et d’autant plus apprécié).
Mérédith Le Dez est née en 1973 ; elle vit à Saint-Brieuc. Elle a reçu le Prix Yvan-Goll 2015, le Prix Vénus-Khoury-Ghata 2017, et est titulaire d’une bourse de création de poésie contemporaine Gina Chenouard de la SGDL 2022.
Yasmina Mahdi
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