L’inconnue, Intissar Haddiya (par Patrick Devaux)
L’inconnue, Intissar Haddiya, éditions St Honoré Paris 2019
Ecrivain(s): Intissar Haddiya
Quelle est donc « l’inconnue » d’Intissar annonçant, dès le début de son roman, un veuvage dans une solitude forcée, cette solitude sociale s’accompagnant d’injustice matérielle et consécutive à un décès de l’époux suivant les lois en vigueur dans le pays concerné, son physique atteint parlant pour elle « Son sourire creusa des rides encore plus profondes. Sa peau ressemblait à un sol aride, à l’affût de quelques précieuses gouttelettes d’eau. Quelques années plus tôt, cette pensée aurait été une blessure à son ego de femme accomplie » ?
On frise, pour Layla, héroïne du roman, l’étrangeté annonciatrice, une amie voyante, Yvonne, suscitant l’intrigue d’un « changement de vie ». Ne nous sommes-nous pas déjà, alors, dans le roman, à une intrigue à plusieurs…inconnues ?
L’intrigue va crescendo, avec, pour Layla, la découverte d’un bébé sur le pas de sa porte.
En cette circonstance, l’auteure évoquera les démarches nécessaires au « kafala » (procédure d’adoption spécifique au droit musulman). On lit, entre les lignes, un amour récurrent de l’auteure pour la maternité au sens large. On comprend sa compassion pour les intrigues de vie au quotidien faisant de ses personnages des héros confrontés à la « Destinée ». Est-ce donc, peut-être, la destinée cette inconnue ayant mis en évidence le titre du roman ? Qui sait ? Notre vie nous est-elle « inconnue » à notre image quand un évènement déclencheur s’y annonce ? le moment soi-disant « propice » joue-t-il pour ou contre nous ? La vie doit-elle se couler dans le monde des apparences ? La mère adoptante, elle-même, ne reste-t-elle pas, à bien des égards, cette « inconnue » d’une société assez conservatrice où le rôle est prédéfini, y compris avec le temps qui passe ? : « Il y a bien des femmes qui faisaient des enfants tard, très tard même. Oui, mais pas à son âge…Pourvu qu’on ne remette pas en question sa maternité, car celle-ci serait douteuse si tous ces gens connaissaient son vrai âge ».
Le style use force d’adjectifs pour estimer une intrigue qui va crescendo avec l’évolution de Farah, l’enfant adoptée.
L’intrigue se déroulant au Maroc, le pays de l’auteure, celle-ci aime en rappeler les justes traditions : « Et aussi impensable que cela puisse paraître, son appartement ne contenait pas de salon marocain, pourtant celui-ci est un indicatif incontournable de tout foyer digne de ce nom, un espace que l’on ornait soigneusement, souvent au-dessus de ses moyens, de tapisseries fabuleuses, de rideaux de mousseline et de dentelles et de beaux tapis de laine couleur rouge écarlate, bleue ou verte… ».
Cette œuvre, d’une grande humanité, fait aussi la part belle aux amitiés vraies, telles celles d’Yvonne et de Khadoujj qui, épuisée par la vie, sera secourue par Layla.
Ce roman est, en grande partie, un récit de la vie au quotidien : « Son visage à l’expression labile s’était beaucoup ridé, le froncement des sourcils avait toujours été intense dans les rares moments de colère, et la joie creusait des fentes de part et d’autre des joues exhibant un sourire large, plissant les yeux, les réduisant à deux petites étincelles luisantes de bonheur. Un bonheur facile et contagieux, car, il a toujours suffi d’un rien pour rendre Khadoujj heureuse ».
A travers l’amitié de Farah, devenue adolescente, et Fatiha, une fille d’origine modeste, on retrouve Intissar exprimant peut-être sa propre découverte littéraire initiée entre « le Petit Prince » et « Cendrillon ». La jalousie d’une tierce personne dévoilera le secret de Layla.
Ce livre qui fait confiance en l’Humanité, après une première parution de l’auteure avec son roman « Si Dieu nous donne Vie », confirme l’élan généreux d’une plume à l’écoute dans un milieu où les femmes en particulier prennent à cœur leur essentiel rôle.
« L’inconnue », elle, a appris à aimer et si, suivant l’expression, le « fruit ne tombe jamais loin de l’arbre », c’est parfois la Vie qui gagne et y croque à belles dents après avoir été ramassé par une destinée de passage.
Un livre humain. Très. Où, parfois, on reconnait la femme médecin entre les lignes.
Patrick Devaux
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