L’homme noir dans l’imaginaire musulman, par Amin Zaoui
Dans l’imaginaire musulman, le Noir est équivalent à l’esclave.
Les musulmans, à travers leur Histoire, étaient et ils le sont toujours, proie à la culture ségrégationniste et chauvine envers les Noirs ! Ce sentiment d’esclavagisme trouve ses racines chez les califes, les fkihs, les poètes et les petites gens… Cette culture est toujours vivante, transmise de génération en génération. Les chroniqueurs et les historiens musulmans, toutes sensibilités politiques ou religieuses confondues, ont rapporté des faits de califes et rois musulmans marqués par une conduite honteuse envers leurs sujets noirs africains. Cette gent humaine se vendait et s’achetait comme du bétail partout dans la terre d’islam (je n’évoque pas ici l’Histoire occidentale ou chrétienne, c’est une autre histoire envers la traite noire).
Dans la langue arabe, on trouve un riche lexique qui désigne les différentes catégories d’esclaves noirs : abd, mamlouk, khadim, ama, jariya, raqiq, ghoulam, zinj… Cette culture trouve sa place dans l’imaginaire populaire comme dans les réflexions d’élites musulmanes.
a) Une histoire vraie : ma voisine n’a jamais caché son sentiment empreint de la haine des Noirs. Elle avait une fille qui avait dépassé largement l’âge du mariage. Toute fille qui franchit cet âge, aux yeux de la société traditionnelle, est considérée comme vieille fille (bayra). La présence de cette dernière dans l’espace paternel était devenue l’incarnation de la honte. La malédiction. Ma voisine disait à qui voulait l’entendre qu’elle était prête à la faire marier à « un chien » ou même à « un mur » si ce dernier demandait sa main ! Un beau jour, un groupe d’hommes frappe à sa porte. Après avoir siroté un bon berrade de thé à la menthe avec son mari, le plus âgé des présents s’adresse au père de la fille en termes suivants : « Selon la charia d’Allah et de son Prophète QLSSSL, je demande la main de votre fille pour notre fils ». Le mari, sans demander l’avis de sa femme, accepta cette demande. Cette dernière était toute contente de voir sa fille enfin sur le point de partir chez un époux. Une semaine après, la maman, accompagnée de son fils et quelques autres membres de la famille frappent une deuxième fois à la porte de cette voisine afin de finaliser les détails du mariage. L’été est à nos portes. Mais voici ma voisine qui découvre que son futur beau-fils est un jeune Black. Stupéfiée, elle n’a pas pu supporter cette situation, elle a crié haut et fort devant l’assistance : « J’égorgerai cette fille-malédiction sur mes genoux, de mes propres mains s’il le faut, et je ne la donnerai pas en épouse à un Noir, à un esclave ». Les invités se sont retirés dans le silence, l’humiliation et l’abaissement.
b) Ibn Khaldoun (1332-1406), l’historien, le savant, l’érudit, lui aussi n’a pas échappé à cette culture musulmane dominante qui rabaisse les Noirs. Il écrit dans la Moqaddima que « les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal », et que plus au Sud, il n’y a plus de civilisation digne d’intérêt. « On n’y trouve que les hommes les plus proches des bêtes que d’un être intelligent. Ces gens-là vivent dans les lieux sauvages et les grottes ; ils mangent de l’herbe, des graines crues. Quelquefois, ils se mangent entre eux. On ne peut les compter au nombre des humains ».
c) El-Mutanabbi (915-965), le poète le plus renommé de tous les poètes arabes de tous les temps littéraires, lui aussi n’a pas pu se libérer de cette mémoire de la culture de la haine contre l’homme noir. Qui parmi nous, élève de l’école maghrébine ou arabe, n’a pas appris ou lu son poème (Kafour Al-Ikhchidi) sur Abû al-Misk Kâfûr (905-968), le gouverneur de l’Égypte. Dans ce poème, El-Mutanabbi utilise des mots très forts pour dénigrer, insulter ce gouverneur noir. Ce n’est pas uniquement parce que ce dernier n’a pas répondu favorablement aux ambitions du poète, mais d’abord parce qu’il EST noir. Il est le poème le plus connu chez les arabes et arabisés, dont voici un extrait :
Pour qu’un esclave pervers assassine son maître
Ou le trahisse, faut-il qu’il passe par l’Égypte ?
Là-bas, l’eunuque est devenu le chef d’esclaves en cavale,
L’homme libre est asservi ; on obéit à l’esclave.
L’esclave n’est pas un frère pour l’homme libre et pieux
Même s’il est né dans des habits d’homme libre.
N’achète jamais un esclave sans un bâton pour l’accompagner
Car les esclaves sont infects et des bons à rien dangereux.
Et nous continuons à enseigner ce poème jusqu’au jour d’aujourd’hui !!
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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