L'Homme mouillé, Antoine Sénanque (par Yann Suty)
L’homme mouillé – 207 pages, 17 €
Ecrivain(s): Antoine Sénanque Edition: Grasset
« Kafkaïen ». Le mot est utilisé à toutes les sauces au moindre semblant de mystère qu’on redoute de l’employer. Veut-il encore dire quelque chose ? Mais force est de constater qu’il sied parfaitement au livre d’Antoine Sénanque, L’homme mouillé. Le point de départ évoque celui de La Métamorphose de Kafka : un homme est frappé tout à coup d’un mal inexplicable qui va bientôt devenir son identité même. A l’instar du kafkaïen Gregor Samsa qui se réveille un matin dans la peau d’un insecte, le héros de L’homme mouillé, le hongrois Pal Vadas, lui, dégouline soudain de sueur. Mais pas de n’importe quelle sueur. C’est une sueur abondante, qui coule de toute sa peau et même de ses ongles, et qui coule, coule, coule, quitte parfois à provoquer des inondations et dévaster son appartement. D’ailleurs, techniquement parlant, ce n’est pas tout à fait de la sueur, mais de l’eau de mer, algues comprises.
Son médecin n’y comprend rien, évoque un mystère qui défie la raison. Un mystère qui s’enrichit d’une dimension psychanalytique car cette sudation inexplicable a fait son apparition le 12 mars 1938, le jour de l’anniversaire de la mort du père de Pal Vadas, tombé au champ de bataille lors de la première guerre mondiale. Et ce même jour, il reçoit un courrier lui annonçant la mort de son père…
Pal Vadas n’est pas un personnage sympathique. Employé modèle de bureau (comme Franz Kafka ), il a le souci de la vérité et le sens du respect de la hiérarchie. Il n’a pas d’amis et ses collègues le trouvent taciturne. Bientôt, il va être amené à frayer avec des membres du parti nazi hongrois et participe même à un pogrom. L’atmosphère est électrique à cette époque en Hongrie. L’Allemagne vient d’annexer l’Autriche et de plus en plus nombreuses sont les voix magyar qui plaident pour un rapprochement avec le régime hitlérien.
Si Antoine Sénanque nous empêche d’avoir de la sympathie pour cet homme, c’est pour mieux le considérer comme sujet d’étude. Antoine Sénanque n’est pas seulement écrivain, il est aussi un médecin (un neurochirurgien) qui ausculte cette maladie inédite dans toutes ses manifestations.
Alors que le héros de La Métamorphose était caché par sa famille dans sa chambre, Pal Vadas se retrouve lui confronté au monde et aux réactions des uns et des autres. Il devient un objet de curiosité, un monstre de foire, sur lesquels les médecins se penchent. Que doivent-ils en faire ? Doivent-ils le soigner ou l’éliminer ?
Antoine Sénanque a situé son roman dans la Hongrie de la veille de la seconde guerre. Pal Vadas devient le symbole d’un pays qui part à l’eau. Il s’acoquine rapidement, trop facilement, au nazisme, même pas par conviction. D’ailleurs, on ne sait pas trop quelles sont ses convictions à cet homme. Il semble suivre le sens du courant, exactement comme l’eau qui coule de lui et qui peu à peu le métamorphose en un autre être au corps gonflé et aux membres flasques. En chemin, il va aussi rencontrer des Juifs persécutés dont le destin présente bien des similarités avec le sien.
La petite histoire se mêle à la grande. Le destin d’un homme devient celui d’un pays. Kafkaïen,L’homme mouillé l’est aussi par son côté parabole.
Yann Suty
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