L’Homme au lion, Henrietta Rose-Innes
L’Homme au lion, trad. anglais Elisabeth Gilles, 315 pages, 21 €
Ecrivain(s): Henrietta Rose-Innes Edition: Zoe
Curieux roman que celui d’Henrietta Rose-Innes. Elle nous avait surpris avec son Ninive, qui traitait d’une invasion insidieuse d’insectes destructeurs, dé-bâtissant, grignotant les fondations mêmes érigées par l’homme. Cette fois encore, l’histoire se déroule en Afrique du Sud, au Cap, territoire des derniers lions géants à crinière noire. Que s’est-il exactement passé entre Mark, l’homme-gardien-soigneur (?) et Dmitri, le grand lion mâle, pour que celui-ci l’agresse et le mutile ?
Appelé par Margaret, la mère de Mark, Stan, son ami d’adolescence – disponible à tous les sens du terme – prend sans qu’il n’y paraisse ni qu’il lui paraisse, la place de Mark, qu’il n’a pas revu depuis des années, séparé de lui par un drame, auprès de Sekhmet, la lionne solitaire depuis que Dmitri a été abattu. Mark et Stan, interchangeables que tout, pourtant, sépare et séparait déjà du temps de leur adolescence : Stan, négatif de Mark qui, pour plaire à Mark s’était inventé une vie aventurière et un courage et des défis qu’il n’aurait pu tenir jusqu’au bout, jusqu’au but.
Depuis la mort tragique de la petite Lizzy, sœur de Mark, dont Stan se sent – et est véritablement – responsable, celui-ci fait chaque nuit le même rêve d’affrontement : un corps à corps avec un lion dont on ne sait qui sort vainqueur, ni qui est le lion.
… Et il y a cette « barrière » érigée dans la montagne, réserve naturelle, tout près du zoo, dont on ne sait si elle protège, ou provoque.
Entouré de symboles léonins, Stan vit quelque temps avec Elyse, comédienne pour tuer le temps, qui ne cesse de changer de personnage et dont la vie même paraît être un jeu de rôles. Et il y a Mossie, petite femme sans formes définies, puzzle.
Entre ces deux inconsistances : la femme transformiste et la femme morcelée, Stan sera joué, piégé contre son gré (?) :
« Même dans la lumière claire de début de soirée qui flottait dans le ciel, venant de tous côtés, elle lui sembla manquer de clarté. L’impression persistait d’une personne estompée, aux contours mal définis, un dessin provisoire… » (p.147, de Mossie).
« Mais ce dont il se souvenait, c’est la manière qu’elle avait eue de regarder en arrière, le visage tourné, quand elle avait posé la main sur la porte de la chambre de Mark à l’hôpital, et de comment, depuis l’intérieur de la chambre, la lumière fluorescente l’avait entourée tel un être venu d’un autre royaume. A ce moment-là, dans ses habits blancs, ce n’était pas à une fausse infirmière qu’elle avait ressemblé. C’était à une mariée » (p.261, d’Elyse).
Dans une sorte de happy end, les animaux sont montrés aux enfants en spectacle, empaillés – doit-on vraiment dire « naturalisés » ? – ou représentés par des comédiens déguisés habillés d’étoffes. Cette scène clôt cette farce inquiétante où l’homme devient absurdement sauvage et où la sauvagerie s’apprivoise, Sekhmet, la lionne libérée alimentant faits divers et légendes : « Bien que Sekhmet soit partie, il est régulièrement question d’elle dans la presse. On la repère de temps en temps dans des circonstances de plus en plus fantastiques (…) » (p.312).
Anne Morin
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