L’Heureux retour , Un Vaisseau de Ligne & Pavillon haut, Cecil Scott Forester, Folio (par Didier Smal)
Cecil Scott Forester, L’Heureux retour (336 p.), Un Vaisseau de Ligne (384 p.) & Pavillon haut (336 p.), trad. de l’anglais par Louis Guilloux et René Robert, Gallimard/Folio, mai 2021, 8,60 €
Cecil Scott Forester (1899-1966) a débuté sa carrière littéraire comme polygraphe, publiant durant les années vingt et le début des années trente des essais historiques (dont deux sur Napoléon et un sur Nelson, comme des préparations aux romans maritimes à venir), un récit de voyage sur un yacht, des récits policiers et d’autres de guerre maritime, situés tant durant les guerres napoléoniennes (dont le virulemment titré Death to the French, 1932) que durant la Première Guerre mondiale. En 1935, il publie un roman sous haute inspiration conradienne, The African Queen, dont l’adaptation cinématographique en 1951 fait partie des classiques du septième art. Et deux ans plus tard, il publie le premier tome des aventures du Capitaine Hornblower, The Happy return ; le succès de ce roman dans les pays anglo-saxons l’incitera par la suite à dédier essentiellement sa plume à ce personnage jusqu’à sa mort – survenue alors qu’il vient d’écrire une dernière nouvelle relative à Hornblower, The Last Encounter.
Plus de quatre-vingts années après la naissance littéraire de Hornblower (et deux cent quarante-cinq années après sa naissance en Angleterre, le 4 juillet 1776 – jour de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis vis-à-vis de la Grande-Bretagne, comme si ce personnage devait rendre à l’Angleterre sa prestance), la collection Folio rend à nouveau possible la lecture des trois premiers tomes de ses aventures publiés par Forester en 1937 et 1938, L’Heureux retour, Un vaisseau de ligne et Pavillon haut – et offre ainsi de (re)découvrir des classiques du roman d’aventures maritimes, genre hétérogène où l’on trouve aussi bien des perles uniques (en français, songeons à L’Île des perroquets de Robert Margerit ; en anglais, impossible de négliger l’œuvre de Stevenson, en particulier Le Trafiquant d’épaves) que des séries au long, très long cours, au propre comme au figuré (avouons le découragement à l’idée de monter à l’abordage de l’œuvre d’Alexander Kent, malgré les belles couvertures de la Collection Libretto). Autant le dire d’emblée : la lecture des trois premiers tomes des aventures d’Horatio Hornblower est un plaisir véritable – si l’on accepte le jeu d’une littérature destinée à procurer un plaisir, justement, mais un plaisir intelligent (donc pas intellectuel), en compagnie d’un personnage de papier dont on entend pourtant souvent battre le cœur.
Ce plaisir est lié pour partie, convenons-en pour le lecteur francophone, à la traduction de Louis Guilloux (1899-1980) et René Robert (pour la révision de la traduction – c’est d’ailleurs lui qui est crédité seul pour Retour à bon port, la version publiée en 2015 chez Libretto de The Happy return) : le style est enlevé, la phrase est rythmée, les dialogues sont vivants autant que se peut faire sachant à quel point Hornblower fait preuve de laconisme et de pudeur – bref, le lecteur embarque successivement à bord du Lydia, du Sutherland puis d’une barque sur la Loire et sur cotre la Pythonisse d’Endor, et en vient presque à regretter d’enfin poser pied à terre. Quant à savoir si le langage maritime, précis, pourrait être un frein à la lecture, outre qu’on finit par s’y familiariser, l’éditeur a eu l’excellente idée de faire précéder chacun des trois romans des « Équivalences des unités de mesures anglaises » et, surtout, d’une illustration légendée du navire sous les ordres de Hornblower et d’une carte maritime montrant son itinéraire. Bref, l’on peut voguer sans crainte d’encalminer au beau mitan d’un récit.
Ce plaisir est aussi, et avant tout, lié à la faculté de Forester de passionner le lecteur pour son personnage, Horatio Hornblower, capitaine de la Marine anglaise durant les guerres napoléoniennes : un personnage complexe, calculateur précis, tant au whist et en trigonométrie qu’à la manœuvre durant une tempête ou durant un combat naval inégal de prime abord, et pourtant peu confiant en ses capacités : « Il était dans la nature de Hornblower de déprécier ses réussites à ses propres yeux, et de ne pas tenir compte de tout le soin et de toutes les précautions qu’il avait pris pour assurer le succès, non plus que de son habileté à profiter des circonstances. Il se dit qu’il était un imprudent et un sot, et pesta contre cette maudite habitude qu’il avait de plonger dans le danger et de ne tenir compte des risques qu’après coup » (Un Vaisseau de ligne). Un impulsif réflexif, un être humain complet, marié à la fille de sa logeuse mais amoureux d’une lady, adoptant une apparence taciturne et pourtant désireux d’épanchements humains, capable des plus grands coups d’éclat, que ce soit au large de l’Amérique du Sud ou de l’Espagne, et pourtant tourmenté à l’idée du conseil de guerre – c’est Hornblower, attachant au possible par ses faiblesses qui sont autant de forces, et vice-versa.
Entre 1808 et 1811, ce personnage fictionnel, auquel on finit par désirer croire, est soumis, sur la mer mais aussi sur la terre, aux vicissitudes des alliances politiques entre l’Espagne et l’Angleterre, contre la France du « tyran corse », mais aussi du jeu politique d’une Angleterre qui se cherche un nouvel héros sur les mers (Nelson est mort à Trafalgar en 1805) afin de justifier face au peuple la nécessité d’un blocus harassant et demandant un lourd tribut en hommes. Puissant dans ses décisions sur le pont, Hornblower se sent parfois le jouet de décisions, tant relationnelles (Maria, sa femme, qui l’enferme dans son affection convenue, lui qui rêve d’aventures et ne se sent bien que sur le pont d’un navire voguant) que politiques, qui le dépassent, et cela fait aussi partie de sa complexité, de l’empathie que ressent le lecteur pour lui, y compris lorsqu’il est fait prisonnier puis s’échappe, descend la Loire et retrouve enfin, à la fin de Pavillon haut, l’Angleterre, où l’attendent tant la tristesse que les honneurs et, surtout, un bonheur personnel potentiel.
Au point de vue narratif, un sentiment, qui serait à vérifier par la lecture d’une biographie littéraire précise de Forester, se fait jour chez le lecteur : L’Heureux retour eût pu rester le seul roman dont Hornblower était le héros – sa fin ressemble à une conclusion, même si l’auteur avait parsemé l’histoire d’éléments au potentiel développement, en particulier l’histoire avec Lady Barbara, conclue de brutale façon. On a le sentiment que Forester a repris rapidement la plume face au succès de ce premier roman pour une talentueuse suite en deux tomes qui, eux, se succèdent avec une implacable logique narrative – Hornblower est fait prisonnier à la fin d’Un Vaisseau de ligne, on ne peut décemment le laisser ainsi, et Pavillon haut raconte donc son évasion et son périple à travers la France vers la Manche et l’escadre anglaise assurant le blocus. Et Pavillon haut offre une conclusion, que l’on taira ici pour en laisser au lecteur néophyte la surprise, qui laisse à penser que les aventures de Hornblower, du moins celles que désirait à l’origine raconter Forester, peuvent prendre fin. Mais face au succès de ces récits, profondément anglophiles (au point d’être parfois franchement francophobes…), Forester reprendra la plume et son personnage en 1941 le temps de trois nouvelles, puis surtout, à partir de 1945, offrira à Hornblower une carrière maritime complète, d’aspirant à amiral, de 1794 à 1823 (et 1848 pour l’ultime nouvelle, déjà évoquée ci-dessus). Mais cela est littéralement une autre histoire, et même si certains recommandent une lecture chronologique des aventures de Horatio Hornblower, le mieux, pour en saisir l’exacte dimension humaine, est de l’accompagner au fil de la plume de Forester dans les trois romans présentement réédités.
Didier Smal
Cecil Scott Forester (1899-1968) est un écrivain britannique connu surtout pour les romans maritimes dont Horatio Hornblower est le personnage principal.
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