L’Heure de l’ange, Karel Schoeman (par Stéphane Bret)
L’Heure de l’ange, août 2018, trad. Pierre-Marie Finkelstein, 488 pages, 24 €
Ecrivain(s): Karel Schoeman Edition: Phébus
Karel Schoeman est un auteur sud-africain capital pour la compréhension de son pays, l’Afrique du Sud. Dans trois ouvrages consacrés plus spécialement aux voix, aux souvenirs, Cette Vie, Des voix parmi les ombres, L’Heure de l’ange, cet auteur fait revivre ce pays, en utilisant ces filtres précieux, trompeurs, mais indispensables que sont les souvenirs, les traces laissées par les personnes, leur impact sur notre propre accès au souvenir. Cependant, comme dans Des voix parmi les ombres, l’accès à ces souvenirs, à cette mémoire sud-africaine, vu du côté des européens, et plus spécialement des Afrikaans, ces descendants de colons néerlandais, est bien laborieux, confus, incertain. C’est ce qu’évoque Karel Schoeman dans ce roman.
Le prétexte, car c’en est un, nous le verrons à la lecture du livre, c’est le retour d’un producteur de télévision de Johannesburg dans la petite ville de son enfance. Cet homme recherche des éléments biographiques d’un berger nommé Danie Steenkamp à qui serait apparu un ange au début du XIXe siècle.
Dès le début de ses recherches, notre producteur se focalise sur deux personnages : un pasteur nommé Jacob Heyns, et un instituteur, Jood de Lange. Bien entendu, de nombreux personnages sont évoqués parallèlement : les habitants du Veld, cette campagne sud-africaine, parsemé de buissons et d’arbustes.
Pourtant, les interrogations se pressent très vite dans l’esprit de ce producteur en mal d’évasion. Ainsi, celle sur la langue sud-africaine : « Les voix mouraient, les mots s’estompaient, seules demeuraient des intonations de plus en plus vagues, les voix d’une communauté isolée, repliée sur elle-même, dont les membres s’entretenaient à demi-mot de sujets familiers que leurs interlocuteurs comprenaient sans explication ».
Mais c’est l’interrogation, essentielle à nos yeux, de la pertinence du souvenir, de son caractère judicieux que pose Karel Schoeman. A propos du pasteur Jood de Lange : celui-ci se demande pourquoi il se remémore les habitants pauvres de sa paroisse : « Pourquoi ai-je gardé ces choses en mémoire ? (…) Mais ce n’est pas non plus de cela que je voulais parler. Quels étaient les souvenirs que je voulais évoquer ».
Il y a aussi dans ce roman une description très fouillée des mœurs de l’époque, de celle des paroissiens, des villageois, parfois rétifs aux sermons trop élaborés du pasteur Heyns. Cette évocation nous fait penser au Journal d’un curé de campagne de Bernanos. Sans oublier, bien sûr, la présence de l’histoire, de la guerre des Boers que les Afrikaners appellent « la guerre », comme pour la démarquer des autres, ou encore le rappel de la Rébellion, ce mouvement opposé à la mobilisation des soldats sud-africains durant la première guerre mondiale aux côtés de l’adversaire britannique. Ce roman restitue très bien le côté aléatoire du souvenir, sa fragilité, son caractère fragile et sélectif. Il aidera à comprendre la psychologie de ces habitants Afrikaners, leurs univers mentaux, leurs quotidiens. Un concours précieux à la connaissance de ce pays par sa littérature.
Stéphane Bret
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