L’Heure d’or, William Nicholson
L’Heure d’or (The Golden Hour), mars 2016, trad. anglais Anne Hervouët, 411 pages, 22 €
Ecrivain(s): William Nicholson Edition: Editions de Fallois
William Nicholson continue brillamment sa toile sur sa petite société de la province anglaise. Et notre addiction y trouve son compte, comme dans une série dont on attend avec avidité la suite et le destin des personnages. On l’a déjà dit ici, l’art de Nicholson est de transformer la petite vie de ses humains en aventures passionnantes. Nulle généralité. Le regard de l’auteur se démultiplie pour nous faire saisir au plus près les chemins individuels. Dans la fourmilière, il ne regarde pas la fourmilière mais quelques fourmis, dans leur particularité.
Cet été anglais est torride. Laura, Henry, Maggie, Andrew, Mrs Dickinson et les autres sont dans leurs jardins, leurs maisons, leurs soucis, leurs joies. C’est le tableau d’une certaine société anglaise qui se peint devant nous : une société moyenne bourgeoise, provinciale, tenaillée par les doutes, l’inquiétude pour certains – sociale, affective – par l’ennui pour d’autres qui ont vieilli, ou qui ne travaillent pas, ou plus. Dans tous les cas, il s’agit de l’incapacité des êtres à vivre heureux, même s’ils en ont la possibilité. Cette hypothèse fascine Nicholson : les personnages sont comme des papillons de nuit devant la lumière, hypnotisés par l’échec à tout prix ! Et cela en espérant le bonheur !
Maggie, en cela, est une sorte de prototype. Son ami Andrew est un homme formidable. Trop pour elle ? Il semble bien.
« De jolis yeux, grands, couleur noisette, derrière des verres non cerclés. Lorsqu’il pose les yeux sur elle, son regard est infiniment attentif. Il cherche à connaître son humeur et à anticiper ses désirs. Cela la rend irritable ».
La perfection l’angoisse, la perturbe. La perspective de vivre avec Andrew, de l’épouser, devient un saut terrifiant dans l’inconnu, le précipice peut-être. Cette absurdité, elle est la première à en avoir conscience mais rien n’y fait.
« On se connaît trop bien. Alors, quand le grand jour arrive, il y a longtemps que l’excitation est passée, et vous restez là à vous dire : “C’est ça ?”. Ce qui signifie également que vous n’êtes qu’une sale peste, qu’une enfant gâtée. Il est solvable, loyal, gentil. Que veux-tu de plus ?
Plus, c’est tout ».
Et la vieille (désormais très vieille) Mrs Dickinson qui vit dans une belle maison avec un beau jardin, sous la surveillance affectueuse de sa fille qui lui a trouvé une adorable dame de compagnie ? Elle déteste sa vie, son âge, le monde et surtout, surtout la pauvre Bridget qui fait tout pour lui être utile et agréable. Elle la hait jusqu’à des formes aiguës de paranoïa.
« Où est-elle maintenant ? Elle doit aller et venir en traînant les pieds dans la cuisine et tout changer de place pour que je n’arrive plus à rien retrouver. Elle sait que je n’aime pas cela et c’est pour cette raison qu’elle le fait… Il devrait y avoir deux cochons d’Inde. Où est passé l’autre ? Elle l’a tué. Elle l’a empoisonné. Elle ferait ce genre de choses. Ah… Le voilà ! Suis-je censée rester assise dans ce jardin jusqu’à ce que je meure ? Elle aimerait bien. Elle veut que je meure, comme cela, elle pourrait avoir ma maison. C’est son plan. Cela l’a toujours été. Eh bien… Je ne suis pas encore morte ! »
Même Henry Broad, l’époux apparemment heureux de Laura, est miné par le regret, guetté par la dépression. Nicholson prend alors des accents très baudelairiens.
« L’obscurité surgit. Un petit nuage épais auquel il ne peut échapper s’abat dans la rue londonienne et s’approche lentement de lui. Il la voit à présent. Il connaît son nom. C’est le regret. Il en respire le poison, le sent s’infiltrer dans son corps, prendre possession de lui. Tant de mauvais choix. Sa vie repose derrière lui, telle une bataille perdue, couverte d’une montagne de dépouilles. (…) Vous êtes prisonnier du regret ».
Une myriade de regards, tricotés avec un art infini par Nicholson. On passe d’un pronom personnel narratif à l’autre : dans un même paragraphe, c’est « il », puis « elle », puis « je ». Cette narration chorale est saisissante et finit par bâtir un véritable oratorio des petites existences de chacun. Ajoutez-y la parfaite traduction de Anne Hervouët et vous saurez que ce livre est un vrai bonheur du lecteur.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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