L’Évidence du vrai, Viviane Cerf (par Yasmina Mahdi)
L’Évidence du vrai, Viviane Cerf, éditions des femmes-Antoinette Fouque, septembre 2022, 400 pages, 25 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque
Anticipation
Canicule permanente, cadavres jonchant le sol, surpopulation, voici le décor d’épouvante de ce roman. Le continent fantastique est un genre littéraire à part entière, qui a été principalement occupé par des auteurs masculins. Or, depuis la libération féministe, des autrices en revendiquent l’héritage et renouvellent le genre. Des françaises s’emparent de cette expression, à savoir, pour la plus ancienne : Renée Marie Gouraud d’Ablancourt (1853-1941) ; Nathalie Henneberg (1910-1977) dont le chef-d’œuvre est La Plaie, paru en 1964 ; Christine Renard (1929-1979) ; Françoise d’Eaubonne (1920-2005), et pour ce qui nous concerne, Viviane Cerf (née en 1992, à Oyonnax, partie à Paris, où elle suit une classe préparatoire au Lycée Henri IV et obtient l’agrégation de philosophie).
L’héroïne de ce roman d’anticipation, L’Évidence du vrai, Lia, « experte en sécurité informatique », chargée de la sécurité du président, risque de mourir à chaque instant. L’eau, la verdure, la nourriture variée ont disparu au profit de denrées chimiques. Les individus sont mis en joue par des robots tueurs dans un climat de haute sécurité, subissant une déshumanisation qui les obligent au travail forcé – terrifiant destin ! Les systèmes d’habitation semblent érigés sur le modèle du type d’architecture carcérale du panoptique dans un état totalitaire qui oblige les citoyens à l’esclavagisme, à rester sous la domination des robots. Au sein de cette économie de marché impitoyable et ultracapitaliste, il n’est plus permis de penser, d’inventer ni de s’auto-gérer. De plus, les cataclysmes frappent souvent et l’unique solution consiste à sauver sa peau… Or, la mission de Guillaume, l’un des personnages en souffrance, physicien, est de purifier l’air ambiant, devenu irrespirable. Ces femmes et ces hommes cobayes surnagent dans un « mortel réel ».
Le texte de Viviane Cerf est de type argumentatif, descriptif et poétique en même temps qu’une chronique historique de futurologie. La société du futur qu’elle imagine fonctionne à la manière d’une secte où aucune prérogative personnelle n’est autorisée. « L’angoisse, la peur, la tristesse étaient considérées comme des anormalités à soigner à coups d’anti-dépresseurs, d’anxiolytiques ou de séances de méditation ». Ces directives ne sont pas sans rappeler l’univers d’Un bonheur insoutenable d’Ira Levin (1970), monde dans lequel la pluie ne semble pas exister et où toute volonté humaine a disparu – les habitants étant réduits à leurs identifiants alphanumériques. Ici, dans L’Évidence du vrai, le renforcement des appareils de surveillance aliène les travailleuses et les travailleurs, considérés comme des numéros, corvéables à merci, sous peine d’être des ennemis de l’État.
La rue est saturée par l’information continue, l’abrutissement médiatique, aucun espace de retrait n’est permis, le libre-arbitre est aboli et les enfants « apprennent à ne pas penser, à devenir plus débiles que sages ». De troublantes recherches scientifiques sont menées au nom d’un bonheur collectif. Cette dystopie a des points communs avec le film Soleil vert de Richard Fleischer, ne serait-ce que par ce qui est advenu de la planète après la post-industrialisation et la pollution mondiale, où « le rêve de chacun, c’était la disparition des autres ». Il se trouve également dans cette collectivité malade l’incarnation du mal, un collaborateur déchu, rouage de l’organisation secrète terrorisante. Néanmoins, l’irréductibilité est tapie au fond de la pensée pour la sauvegarde de l’espèce, sous forme de résistance souterraine, une pensée réfractaire, quelque chose d’inaltérable, apyre, qui résiste à l’action du feu, infusible, incombustible.
Le livre de Viviane Cerf soulève des problématiques contemporaines, relève des situations déjà en place avec l’invasion des nouvelles technologies, pressentant les dérives possibles. L’autrice attire notre attention sur, notamment, la notion de subsomption, ce que Karl Marx, en philosophie politique, mobilise comme concept pour définir la manière dont les relations sociales sont déterminées par les relations de travail.
Yasmina Mahdi
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