L’Etreinte de glace, anthologie de Jacques Finné (par François Baillon)
L’Etreinte de glace, anthologie de Jacques Finné, février 2019, trad. Jacques Finné, Jessica Stabile, 296 pages, 23 €
Edition: Editions José Corti
Le titre L’Etreinte de glace donne une idée du charme de ces nouvelles surnaturelles, issues de l’ère victorienne, un charme qui vous happe à la gorge et ne vous lâche pas. Froid comme la mort, fascinant comme l’inexplicable : voilà en partie des ingrédients qui unissent les huit nouvelles sélectionnées et traduites ici par Jacques Finné (accompagné de Jessica Stabile). Mais il est une caractéristique plus notable encore dans cette anthologie : toutes ces nouvelles ont été écrites par des femmes. Gageons qu’à l’issue de la lecture, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Jacques Finné lui-même : ces huit femmes n’ont rien à envier à leurs compères masculins dans le genre de la ‘ghost story’. Elles sont même si douées qu’on est en droit de se demander pourquoi la postérité ne leur a pas fait un meilleur cadeau (jusqu’à maintenant).
Qu’il s’agisse de cette Etreinte de glace elle-même, nouvelle où l’ambiguïté est maintenue avec maestria entre l’existence possible d’un fantôme et une oppression mentale proche de la folie, due à une culpabilité inavouée ; ou bien qu’on pénètre dans cette chambre où aucun fantôme n’est vu mais qui semble posséder un pouvoir plus qu’étrange (Dormir… rêver peut-être…) ; ou qu’on ait encore affaire à ce Portrait, où un accablement physique, quasiment insurmontable, conduit à trois reprises un gentleman vers son père afin de lui délivrer un message qu’il peine à comprendre, pour ne donner un aperçu que des trois premières nouvelles : toutes possèdent une maîtrise incontestée du suspense lié à une indistinction permanente entre la réalité et le surnaturel, entre l’hallucination prémonitoire et la folie… Les points d’interrogation ne sont d’ailleurs jamais vraiment levés, et ce, pour notre plus grand plaisir. L’élégance de ces atmosphères victoriennes ne concourt pas moins à la puissance attractive de ces nouvelles, qui nous ménagent quelques surprises. Peut-on d’ailleurs réellement parler de conte fantastique avec Une nuit dans la Forêt Noire, qui s’apparente davantage à une mésaventure machiavélique soutenue par une narration virtuose ?
La délectation se poursuit avec un dossier revenant sur la vie et l’œuvre de chacune de ces nouvellistes. Jacques Finné avait déjà fait paraître deux anthologies consacrées aux écrivaines victoriennes chez José Corti, et le bonheur qu’il a à les retrouver est palpable dans ce dossier. Ainsi, nous découvrons des vies parfois rocambolesques, peu heureuses pour la plupart, et une œuvre extraordinairement abondante pour beaucoup d’entre elles (seule Gertrude Bacon fait exception, avec une unique nouvelle fantastique écrite dans sa vie, qui n’en est pas moins stupéfiante). Jacques Finné fait tant et si bien qu’il finit par réussir son pari, et que nous finissons par vouloir retenir ces noms : Gertrude Atherton, Gertrude Bacon, Louisa Baldwin, Mary Elizabeth Braddon, Amelia B. Edwards (dont il faut relire le magnétique Monsieur Maurice, l’un de ses romans phare), Edith Nesbit, Margaret Oliphant, Mrs Henry (Ellen) Wood.
De sorte que nous avons été bel et bien étreints, mais pas par la glace, car face à ces huit talents, il est impossible de rester de marbre.
François Baillon
Jacques Finné, né en Belgique en 1944, est un écrivain, traducteur et critique littéraire, spécialiste de la littérature fantastique, plus particulièrement dans le domaine anglo-saxon. Il a publié plusieurs essais et anthologies depuis 1972, ainsi qu’une traduction très remarquée de Dracula de Bram Stoker, parmi d’autres très nombreuses.
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