L’Etrangère, Florence Noël (par Patrick Devaux)
L’Etrangère, éditions Bleu d’encre, 2017, dessins Sylvie Durbec, 82 pages, 12 €
Ecrivain(s): Florence Noël
Pas de demi-mesures pour évoquer l’acte d’écriture pour celle qui, sans doute, parle un peu d’elle-même quand « elle n’écrit que dans l’insondable tristesse ou l’insondable joie ».
Florence converse avec les mots et les mots la font rebondir dans une sorte de joie naturelle, habitante, à l’aube « d’un royaume impossible à combler ». C’est que la poète sort assez facilement des clous à se poser les questions essentielles de son passage avec aussi une certaine conscience de la vanité : « écrire sec/ en un petit tas/ puis craquer l’allumette » dit-elle.
Le recueil nous apprend que le doute de soi fait partie de la permanence, permettant même une certaine continuité (« elle avait beaucoup écrit/ sur la nature/ qui n’en gardait/ aucune trace »).
Quelques parenthèses servent, pour l’auteur, d’aparté à ses propres dires devenant ainsi une sorte de miroir à mots suscitant un écho de répétitions avec aussi « ce festin de lectures/ vives/ servi par des poètes/ morts ».
Le ton de la poète a un côté assez sauvage à rappeler une certaine animalité où nous ne serions pour personne s’il n’y avait le regard, une certaine façon de regarder, surtout.
Il y a avec les mots profonds une certaine difficulté à communiquer et ce n’est pas pour rien que Florence cite la grandiose poète Emily Dickinson, mêlant quelques-uns de ses mots à son propos.
L’accompagnement de la poète au monde a parfois recours à la nature puisque « son pays eut/ ce soir-là/ la forme d’un nid », promenant son « errance d’odeurs d’herbe en amitiés ».
L’Etrangère parle bien de ce « Je est un autre » cher à Rimbaud, avec aussi cet air de rien – et c’est pourtant combien important ! – dans ce titre qui suggère tant de choses y compris celle de féminiser l’incroyable titre (L’Etranger) de Camus.
Il y a en effet dans ce recueil tout le mystère d’être soi-même, d’oser dire qu’on n’y comprend parfois rien, qu’il y a une gigantesque part de soi qui restera toujours involontaire aux autres. De cette part dépendent parfois nos actes et Camus ne dit rien d’autre dans son célèbre roman.
Pour sortir de la boucle infernale, Florence use de mots. Ils sont forts, justes et utilisés aux bons endroits même si « quel que soit le voyage entrepris/ nous ne tournons/qu’autour de ce même petit/ moi pâle/ et troublant ».
Le très discret – et donc très apparent – « je vous écris/ d’entre les lèvres d’une blessure » et l’immense importance de toute la page presque blanche sous ces quelques mots vidant l’espace vers ce trou noir de l’idée semblent bouleverser absolument les 73 pages qui précèdent, un peu comme dans un jeu de quilles avec cette fulgurance restant debout au milieu des autres pièces balayées par le souffle.
Les dessins de Sylvie Durbec ont ce sautillement intérieur qui, jonglant entre les mots, suggère une sorte d’écho à ce recueil qui bouleverse toute compréhension immédiate qu’on pourrait avoir de soi.
Patrick Devaux
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