L’étoile dansante, Maxime Dalle (par Patrick Abraham)
L’étoile dansante, Maxime Dalle, Editions Herodios, janvier 2023, 200 pages, 20 €
L’étoile dansante de Maxime Dalle aurait pu s’intituler Vie d’Athanase, enfant du siècle. On pense en effet à Musset, à Nizan, toute comparaison qualitative écartée. Autant qu’un parcours individuel, c’est une trajectoire inscrite dans une époque qui nous est retracée, et se dessinant souvent contre elle. Et comme Musset ou Nizan, Dalle, né en 1989, ne donne pas de son époque, la nôtre (grégaire, bégayante, pusillanime), une image réjouissante.
Athanase approche de la trentaine dans le chapitre I ; il a vécu, a été déçu, se demande où porter ses pas ; inadapté et irréconcilié, il apprend le funambulisme (discipline symbolique, bien sûr) dans le cirque tzigane de M. Mirwaïs – clin d’œil à Genet et à Abdallah Bentaga ? Il chutera d’ailleurs (accident symbolique, évidemment), comme Abdallah Bentaga, à la fin de la première partie, et sombrera dans le coma. Nous ne dévoilerons pas comment se termine son aventure.
Dès le chapitre III, selon un procédé classique, nous découvrons le passé d’Athanase. L’enfance fugueuse et orageuse, à tous les sens du mot, qui pousse l’écolier à chercher refuge, comme Augiéras, dans une grotte du Périgord. L’adolescence vagabonde, à Paris, et la rencontre de bienveillants et bénéfiques marginaux. Le lent chemin vers la maturité avec des amitiés, des amantes, des amertumes, et divers lieux (de la place Saint-Sulpice aux Tuileries en passant par le jardin du Luxembourg) qui constituent les étapes d’une sorte d’itinéraire initiatique. Le séjour au Brésil, dans une tribu amazonienne, conduisant Athanase aux limites de lui-même.
On le comprend, L’étoile dansante renoue de façon heureuse avec la tradition du roman d’éducation et du roman de l’énergie tel que l’a défini Albert Thibaudet en 1924 dans un article de la NRF sur Barrès, Morand et Kessel – encore qu’à notre sentiment il n’y ait rien de barrésien chez Dalle, ou peut-être par le biais d’un goût pour Montherlant, ni rien d’une esthétique droitiste. Athanase, baroudeur schismatique et produit contestataire de son temps, veut rester fidèle aux prestigieux modèles qu’il s’est choisis – Nietzsche, Rimbaud, Cendrars, Mishima. Faire carrière ne l’intéresse pas. Les seules conquêtes stimulantes sont pour lui spirituelles. Il paiera le prix de son audace, de sa singularité. Mais il aura transformé un rêve (une image de lui-même) en actes – parfois manqués.
La lecture d’un tel roman, malgré le dénouement, est revigorante. Il faudrait la conseiller aux étudiants déboussolés, aux militants wokistes ou identitaires, aux ilotes des réseaux sociaux pour les sortir de leur torpeur : ils saisiront qu’on ne se trouve jamais en se soumettant à des idéologies préfabriquées, en fréquentant des espaces encombrés, mais, selon la formule fameuse, à ses risques et périls, dans la douleur et la solitude, en devenant ce que l’on est. Le titre, nietzschéen, s’éclaire. Athanase, sur son lit d’hôpital, quoi qu’il advienne de lui (son nom est une bannière puisqu’il dérive du grec athanatos, c’est-à-dire immortel) (1), a affronté ses démons, tenté de s’élever à la hauteur de ses exigences et de faire de son existence un poème.
Le récit n’est pas exempt de faiblesses mineures. La densité de l’écriture ne se soutient pas toujours. La structure est bancale. La tension s’amoindrit après la chute d’Athanase. Et surtout les références culturelles, trop explicites, alourdissent la narration comme si l’auteur avait voulu charger son livre de toutes ses admirations. Mais ces défauts n’importent guère tant le rythme nous entraîne et tant l’on s’attache au personnage d’Athanase en lequel, on le suppose, Dalle a mis beaucoup de lui-même, par lequel il s’est projeté (ou réinventé ?) comme Stendhal avec Julien Sorel. Si l’on a vieilli, on s’interroge à partir de lui : dans quelle mesure a-t-on ou n’a-t-on pas trahi celui qu’on a été ?
Les personnages qui gravitent autour d’Athanase séduisent, eux aussi : M. Mirwaïs, le directeur du cirque, et sa fille Bellina, avatar de la troublante figure de la Gitane ; M. Hippolyte, professeur de piano ; le vieux M. Tryphon, quasi centenaire, dandy anarchiste qu’on ne serait pas surpris de croiser chez Benoît Duteurtre ; Jean-Santana, dragueur pasolinien qui déplore avec raison la disparition des pissotières (2) (p.94) et l’assagissement de la communauté gay. Ce sont comme Athanase et comme Dalle (les deux revues qu’il continue de diriger, Raskar Kapac et Phalanstère, le prouvent, avec leurs numéros consacrés à Henry de Monfreid, à Maurice Ronet, à Guy Hocquenghem, aux lignes de fuite et plus récemment à Jacques Mesrine !) des réfractaires qui ne se satisfont pas des fades recettes que nous propose le petit-bourgeoisisme triomphant, des plats horizons qui nous emprisonnent.
L’étoile dansante ouvre des portes et des fenêtres. L’air circule. On respire, on a envie de grand large, on reverdit. On court vérifier un détail dans les rayons d’une bibliothèque. Rares plaisirs dans la littérature française contemporaine. Il s’agit du troisième livre de Maxime Dalle après deux récits de voyage et un essai remarqué sur Hervé Guibert. Gageons que la suite de son œuvre, quand il aura pris davantage de distance avec lui-même, et quand il se sera allégé, le placera à son juste rang parmi les romanciers d’aujourd’hui.
Saluons au passage les jeunes éditions Herodios, fondées en 2020 par Philippine Cruse, qui a travaillé pendant vingt ans aux côtés de Bernard de Fallois, au catalogue déjà alléchant.
Patrick Abraham
(1) Dans un subtil jeu de piste augiérassien, Dalle renvoie-t-il aussi à l’higoumène Athanase de Trébizonde, fondateur de la République Monastique du Mont Athos au Xe siècle ?
(2) A lire avec profit : Marc Martin, Les tasses, Toilettes publiques, affaires privées (Editions Agua, 2019). L’éradication des urinoirs de Paris, saints édicules chers à Julien Green, commencée sous l’ère chiraquienne, ne s’est pas ralentie, hélas, avec les élections de B. Delanoë et A. Hidalgo.
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