L’Été des charognes, Simon Johannin (par Léon-Marc Levy)
L’Été des charognes, 2017, 140 pages, 10 €
Ecrivain(s): Simon Johannin Edition: Allia
Ce petit livre est tonitruant par l’histoire qu’il raconte et par l’écriture explosive et vitriolée de son auteur. C’est une ode à la pauvreté, à la ruralité profonde, à la putréfaction des choses, des animaux et des êtres. Ce petit livre défie toute complaisance à la nature, tout pathos bucolique. Ce petit livre PUE de beauté morbide.
Le jeune narrateur vit dans la ferme de ses parents, quelque part vers le sud de la France. Une ferme est un grand mot. Une bicoque avec trois bouts de terre, branlante, sale, misérable. L’été il passe ses vacances autour, avec ses copains, aussi pauvres que lui, aussi sales. Désœuvrés, ils inventent des jeux. D’étranges jeux qui ont pour décor et objets la pourriture. Au sens propre du terme. Des talus de fumier grouillant de vers, des petits monts d’animaux morts dont sortent, en rivières vivantes, des larves de mouches et autres insectes, les déjections animales et humaines qui se font n’importe où, partout autour de leur ferme.
« C’était trop marrant on y passait des heures jusqu’à nous aussi être imprégnés de cette odeur de charogne, et puis un jour il y en a un qui en trébuchant est tombé sur les brebis mortes.
Les bras en avant sur le tas gluant, il a fallu qu’on le tire par le col de sa chemise pour le sortir de là tellement les corps s’étaient mélangés en un amas de pourriture grasse, où il pouvait pas s’appuyer pour sortir et s’enfonçait un peu plus à chaque essai.
Nous on hurlait de rire tellement c’était drôle qu’il soit recouvert de cette chose pire que de la merde, et puis quand il s’est approché les moins accrochés ont vomi.
Il en avait partout, presque jusque dans la bouche, plein ses bouclettes blondes du jus marron dégueulasse et des asticots collés sur les mains, même pour la pêche on les aurait pas pris ceux-là ».
Et de morts en cadavres putréfiés, de chiens puants en odeurs humaines à soulever le cœur, de porcs éventrés en types qui font leurs besoins devant la maison, jamais Johannin ne nous ménage.
Et le miracle qu’accomplit ce roman hors du commun, est de nous faire patauger dans l’immonde et d’en tirer pourtant, sans cesse, des traits de lumière. Les amitiés profondes entre les gamins, solidaires et joyeux. L’amour – malgré la rudesse – dans les familles dépenaillées. La bonté – comme ces gamins qui viennent tenir compagnie à une vieille voisine, Didi, et seront ceux qui la pleureront à sa mort.
Les traits de lumière les plus brillants seront ceux portés par l’éveil de l’amour dans le cœur du jeune narrateur. Ils seront les arcs tendus vers une autre vie, hors de la pourriture d’une jeunesse sordide. Il y aura Lou, puis Kim, comme des figures de déesses sorties du fond de l’enfer. Elles mèneront le garçon à des accomplissements qui semblaient impossibles, par leurs paroles, par leurs caresses, leur féminité, leur douceur, leur violence. Comme un grand éblouissement.
« La terre a tremblé dans mon crâne quand elle m’a dit son prénom.
Elle était mon apparition à moi. Lou. J’étais comme une batterie d’artillerie, je crachais du feu sur le trottoir rouge. C’est elle qui un jour a décidé que ça serait comme ça, qu’elle et moi on allait baiser ».
Initiatrices du beau et du bon. Initiatrices aussi de la perte et du manque. Le garçon fait ainsi son chemin de vie.
« C’était la brillance Lou.
Un jour elle a disparu, à jamais. Ils l’ont enlevée pour la mettre dans un autre pays où son père travaillerait mieux, où elle serait gérable, où sa famille pourrait veiller sur elle. Ils avaient raison, il fallait que quelqu’un veille sur elle. Mon cul.
Lou. J’aurais voulu que tu veilles sur moi ».
Simon Johannin, en quelques cent quarante pages, nous emmène sur le chemin d’un destin, à travers une chronique rurale stupéfiante.
Comme Baudelaire – auquel il a sûrement pensé – il prend la boue et en fait de l’or.
Léon-Marc Levy
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