L'esprit de l'ivresse, Loïc Merle
L’esprit de l’ivresse, août 2013, 287 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Loïc Merle Edition: Actes Sud
Il est difficile de comprendre le titre. La 4ème de couverture de l’éditeur nous l’explique très bien. Que reste-t-il après l’action ? Plus que l’ivresse, son esprit. Bien vu. C’est le thème du livre.
C’est un roman plutôt difficile pour plusieurs raisons, que l’auteur rachète dans les cinquante dernières pages, les seules, de mon point de vue, qui provoquent une émotion. Il en faut donc plus de deux cents avant de s’attacher à Clara, son héroïne.
De quoi nous parle Loïc Merle : d’une révolte de banlieue (il avait 20 ans lors de celles de 1998) qui aurait vu converger vers la capitale et les grandes villes de province des émeutiers pris d’une colère violente, au point qu’il faudra ensuite reconstruire. Comment nous le raconte-t-il ? Au travers du prisme de certains de ses acteurs, ceux de la révolte et ceux du pouvoir, enfin un seul, le Président de la République.
On y retrouve deux parallèles évidents – et ces choix ne sont pas dus au hasard –, les émeutes étudiantes de 1968 et la fuite du gouvernement vers Bordeaux en 1940.
Seulement, voilà, malgré une écriture riche et pleine de sens, on s’ennuie un peu. Le début est prometteur, mais repose sur un malentendu : un incident de rue dont la police est seule responsable parce que, pour l’auteur, elle est violente par nature. Un vieil homme, Youssef Chalaoui, s’assied sur un banc en rentrant chez lui avec son cabas et meurt suite à un contrôle de police. Page 40, la police malmène Youssef Chalaoui parce qu’elle a cru déceler sur son visage une sorte de sourire pincé, moqueur. Elle agrippe si violemment le vieil homme, qu’il tombe et meurt ! C’est assez difficile à croire. Si encore ils avaient poursuivi un voleur de pommes en scooter… Ce n’est pas fini, une foule s’est formée, les CRS sont convoqués et chargent un groupe calme, silencieux. Page 60, « avec une indicible satisfaction, les jetant dans un fourgon sonore et sale ». Voilà, la police est une horde barbare qui a soif de sang. L’auteur se moque de nous dans ce manichéisme facile. Page 70, « les coups qui les attendent au poste… ». La police ne saurait donc que frapper pour assouvir de bas instincts ? D’autant que dès la page 59, le calme revient aux Iris : « et la paix est revenue aux Iris » alors qu’à aucun moment on n’a senti une manifestation violente, une lutte, des lancers de projectiles, une agitation de rue qui dégénère.
Et c’est ainsi tout le long. L’embrasement n’est jamais décrit, jamais raconté, seuls les états d’âme d’une jeune femme et d’un Président nous accablent. Cette « Grande Révolte » en devient virtuelle, qui n’existe que par le prisme déformant des deux protagonistes cités. Sans faire une analyse socio-politique, puisque ce n’était pas le propos, il eût été plus vivant de suivre les personnages dans leur environnement du moment, plus réaliste.
Mais il y a de belles pages sur le doute politique attaché à la victoire, le désintérêt progressif de l’héroïne qui est en vérité celui de tout un groupe, les luttes que se livrent les différents groupuscules constitués (du pur mai 68) pour l’incertaine prise de pouvoir. D’autres belles pages sur les regards portés par les personnages. Dommage que ça traîne en longueur. La partie 2 est celle d’une Clara qui déambule dans un environnement léger, une promenade pépère dans un monde annoncé en révolte. Il y a là un décalage qui a de quoi surprendre. La partie 3 est la fuite du Président racontée au travers d’une interminable litanie égocentrée.
Si l’exercice de style est réussi, le compte, à mon avis, n’y est pas tout à fait et ça n’aurait pu être qu’un long bavardage si ce n’était pas si bien écrit. Ni prétexte à une présentation sociologique, ni prétexte à une analyse économico-politique, il manque à ce roman une dimension épique pour que le lecteur se régale totalement.
Gilles Brancati
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