L’enfant qui mesurait le monde, Metin Arditi
L’enfant qui mesurait le monde, août 2016, 304 pages, 19 €
Ecrivain(s): Metin Arditi Edition: Grasset
« Ecrivain francophone d’origine turque », comme le signale l’éditeur, Metin Arditi, auteur d’une quinzaine de romans et d’essais, moult fois primés, propose dans L’enfant qui mesurait le monde une plongée dans l’histoire grecque contemporaine, selon la double approche d’un enfant et d’un architecte qui a perdu sa fille. La crise, l’âme grecque, l’amour d’un père d’adoption, les aléas de la vie d’une petite île coupée de la modernité et des projets pour l’île, autant de thèmes qui traversent ce roman.
Sur l’île Kalamaki, vivent l’architecte étranger Eliot et une flopée de personnages : Maraki, la mère d’un enfant autiste Yannis, son mari dont elle est séparée, Andreas, le pope Kosma, le cafetier Stamboulidis, la fille d’Eliot, Dickie (Eurydice), sans oublier la journaliste Teophani.
Eliot a bien du mal à oublier la mort de sa fille, multiplie les attentions à l’adresse de Yannis, hyperdoué pour les calculs et les statistiques (nombre de clients chez le cafetier ou arrivage de poissons selon les pêcheurs). Peu à peu, il se rapproche de Maraki et de cet enfant, un fils de remplacement ?
L’île est tout agitée de projets pour relancer son économie. La presse et Teophani s’en mêlent. Le débat est porté sur la place publique et le maire doit trancher…
En petits chapitres clairs, l’auteur nous plonge dans le quotidien de Grecs d’aujourd’hui avec un réalisme poétique qui donne une vibration particulière aux histoires et aux décors : Maraki poursuit la pêche ancestrale à la palangre, Eliot dessine des projets, Yannis progressivement se met à communiquer, les Kalamakiotes vivent sous nos yeux avec les soucis que le temps présent attise : la crise, certes, les ambitions des uns, le passéisme des autres, la beauté d’une île à préserver contre les atteintes modernes…
Le lecteur d’emblée se sent en terre de connaissance, comment résister à ces beautés, à ces gens qui peinent et le disent avec conviction ? Comment ignorer ce que la politique commune a pu générer de failles et de pressions ?
Les personnages attachants, les thèmes d’actualité, l’écriture déliée font que ce roman se lit avec enthousiasme : on garde de la lecture ces séquences poétiques où l’architecte converse avec sa fille morte par l’entremise de l’ordinateur où elle consignait ses recherches sur les théâtres antiques ; où l’enfant et son père d’adoption s’amusent et s’apprivoisent par le biais de dessins. Sans oublier les confidences d’un pope, qui n’a jamais oublié de réserver, à l’insu de toutes et de tous, du temps à son amant.
L’auteur sait, ô combien, mener son intrigue, ménager des plages plus aérées et un suspense de bon aloi, pour nous mener à une réflexion assez profonde sur les liens filiaux et les réseaux d’affection dans un monde qui ne pourrait être au pire qu’un vase clos, mais on le sait, la parole libère et l’enfance parfois offre des miracles.
Un beau roman de cette rentrée littéraire 2016.
Philippe Leuckx
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