L’enfant aux cerises, Jean-Louis Baudry
L’enfant aux cerises, novembre 2016, préface et photographies Alain Fleischer, 174 pages, 20 €
Ecrivain(s): Jean-Louis Baudry Edition: L'Atelier Contemporain
Le mouvement du livre de Baudry est un faux mouvement. Certes, il débute par deux textes intimes réussis où le sémiologue évoque comment enfant il est devenu « addict » aux images. S’enchaînent ensuite d’autres articles simplement repris et choisis par le théoricien. Il égraine ses goûts artistiques et prouve qu’avec le temps il s’oriente vers un bel art, celui qui s’intègre aux grands systèmes historiques d’appropriation dont l’ancien iconoclaste est devenu un gardien des temples.
Tous les textes montrent une homogénéisation d’un art qui devient la solution imagée et imaginaire des contradictions. Le livre représente le signe de réappropriation des maîtres-penseurs dans un moule dont ils assurent l’hypostase à la fois rationnalisante et spiritualisante. Au refoulement patent du sexuel répond une propension politique. Baudry fait preuve d’un sentiment de propriétaire sur la « chose » artistique. Dans la persistance d’un « je » imperator se déploient des morceaux choisis qui sont les « points de l’esprit » chers à Breton et qui font de chaque option de l’auteur une projection icarienne dans un lieu mental hors contradiction.
Baudry poursuit ici l’exploitation politique de la culpabilité envers ceux qui ne partagent pas ses goûts dont la fonction souvent réactionnaire est redoublée par l’effet de reprise. Entre le principe du plaisir et l’échéance d’un discours devenu dominant, Baudry qui ignore « l’absence de moi » (Bataille) se veut la conscience claire de ce qui est bon à voir (et comme le penser) car pour Baudry il existe en art des œuvres bonnes comme existent des filles bonnes à marier.
Compassé, Baudry ne pense jamais « comme une fille enlève sa robe » (Bataille). Certes une telle formule reste discutable puisque cette pensée peut avoir bien des fléchages d’autant que la nudité offerte n’est sans doute pas la bonne. Disons plutôt que Baudry ne pense jamais à l’extrémité du sens de l’art (quel qu’en soit le genre) mais en son dedans. Il est toujours plus à hauteur de ciel qu’à plat de scène de l’« obscénité ».
L’inscription réitérée de tels textes renforce une position d’un sens passé. Les choix esthétiques se replient dans un jeu d’interférence et d’instances passives. Les têtes ne dépassent plus. La place même de magister du sujet-Baudry définit des fonctions « stratifiées » à l’œuvre d’art. Les perspectives sur Penone, la vanité, la peinture religieuse italienne, Vuillard, l’intériorité de la peinture, Monet, le dessin, la série, etc., explorent des significations sociales et religieuses, magiques et économiques, morales et sentimentales d’œuvres qui ne sortent pas d’une sorte d’autoprotection et de régulation d’un maître à penser. L’art retenu fait fonction de labyrinthe oculaire enlacé dans un paysage acceptable. Celui de la célébration dans la jubilation d’un parcours qui se voulant initiatique provoque une organisation où aucun seuil ne se franchit.
Un tel travail rameute du pareil, du même. Le regard du théoricien devient agent d’unité. Ses éclairements ne sont évidemment pas forcément un éclairage. Son développement se limite au simple développement photographique. Elle devient la recherche d’un parcours dont la traversée demeure incertaine. Sa critique reste mâtinée d’un enjeu politique traditionnel et d’une cérébralité étouffante. Elle ignore les défis et la contestation qui traversent l’art du temps et qui retournent la dialectique entre le possible et l’impossible.
Jean-Paul Gavard-Perret
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