L’Education sentimentale : Histoire d’un jeune homme, par Fedwa Bouzit
Pour une raison que j’ignore, j’ai procrastiné sur la lecture de l’Education sentimentale tout au long de ma jeunesse. Peut-être parce que le titre, trompeur, donne l’idée d’un essai laborieux et non d’un roman. Ou encore parce que j’associais toujours Flaubert à Balzac, et que Balzac n’a jamais été ma tasse de thé. Pourtant, c’est le roman de jeunesse parfait ! Je m’en rends compte alors que je le lis, tard, en ce mois de décembre 2017. Dès les premières pages, on est happé par ce style à la fois simple et dense, par une sensibilité sans fioritures et un humour fin. Comme le sous-titre le révèle, c’est l’histoire d’un jeune homme et ça parcourt les thématiques majeures de l’âge juvénile.
Amour
L’amour semble être un souci majeur de Frédéric dès le début du roman. Bien avant sa rencontre avec Mme Arnoux, il lit des romans romantiques et rêve d’un grand amour, pur et désintéressé. Quand il voit Mme Arnoux pour la première fois, « son nez droit, son menton, toute sa personne » se découpant sur le fond de l’air bleu autour du navire, c’est une révélation. Il lui dédie dès lors un culte. C’est un amour platonique, quasi-divin. C’est en vérité un faux chemin vers l’amour, ou du moins un amour impraticable, précaire. Le moindre rappel de la réalité, la moindre usure du temps, peuvent le défaire. C’est un amour qui s’épanouit dans les atmosphères vespérales du rêve, qui aime se réfugier dans l’ombre et fuit la lumière crue de la vie réelle. Plus tard, son amour pour la Maréchale semble plus leste, plus léger. Mais l’on se rend vite compte que c’est un amour incomplet et tout aussi précaire. Il est vite gâté par l’absence de connivences intellectuelles, de communauté de valeurs et commence même à se mêler à de la pitié.
Sexualité
Flaubert ne parle jamais ouvertement de sexualité. Mais la tension est là : dans les corps tout habillés et tendus les uns vers les autres, dans les regards furtifs, dans les demi-phrases qui en disent un peu trop sans en dire assez. C’est un territoire périlleux qui suscite la fascination de la jeunesse, à l’antipode du monde pur et lumineux de l’amour platonique, des « femmes honnêtes ». C’est ce clivage, si caractéristique du 19e siècle français, que met en lumière l’Education sentimentale. On y parle aussi de dégoût, de comment celui-ci peut allumer une flamme ou l’éteindre à jamais, comme le cheveu blanc de Mme Arnoux lorsqu’elle s’offre enfin à Frédéric.
Argent
Dès sa prime jeunesse, Frédéric rêve de sa rente et de tous les projets qu’elle lui permettra de réaliser, de son appartement parfaitement meublé à son goût, des réceptions grandioses qu’il y tiendra et des femmes du monde qu’il pourra courtiser. Mais une fois en âge de toucher à sa rente, il se rend compte que les affaires financières ne sont pas aussi simples que cela. L’argent est une ressource limitée et il y a toujours plus nanti que soi. Vivre en simple rentier, sans travailler, tout en ayant des goûts de luxe : voilà la recette du désastre. Avec le temps et l’expérience, ruines après ruines, Frédéric apprend à calmer ses ardeurs et accepte une position de petit bourgeois aux goûts plus modérés.
Ambition
C’est une ambition juvénile qui anime Frédéric tout au long de ce roman. Une ambition à la fois puissante et imprécise, une volonté de faire de grandes choses qui n’arrive pas encore à trouver forme et contenance. Parfois c’est l’écriture, d’autres fois c’est la peinture ou la musique. Nouvellement bachelier, de retour vers Nogent, Frédéric pense « au plan d’un drame, à des sujets de tableau, à des passions futures ». Cette ambition se gonfle en lui, non sans un certain orgueil car « Il trouvait que le bonheur mérité par l’excellence de son âme tardait à venir ». Jamais Frédéric n’arrive à se fixer, il butine toutes les disciplines et traîne derrière lui mille et unes ébauches. Il est pris d’une frénésie incessante qui peine à s’accomplir en action et le laisse toujours sur sa faim. C’est tout le dilemme de la jeunesse : arriver à dégager une unité de direction et un projet durable du tourbillon intellectuel et affectif qui est le propre de cet âge.
Politique
Le regard que jette Frédéric sur la politique est singulier, à l’antipode du réactionnaire Hussonnet ou du communiste Sénécal. Il se campe au loin et observe, non sans humour, les travers des Hommes. Il est trop absorbé par sa vie intérieure, par ses projets, par ses amours platoniques et contingentes, pour prendre ces affaires-là trop au sérieux. En pleine révolution, il ne perd pas de sa légèreté poétique. Au milieu d’évènements sanglants, il trouve encore le loisir d’apprécier l’odeur des bois humides et le rire enfantin de la Maréchale.
Amitié
On n’en a pas l’impression à première vue, mais l’amitié est un thème majeur de l’Education sentimentale. Elle traverse tout le roman d’un fil d’or. Je parle bien de l’amitié de Frédéric et de Deslauriers. Malgré les incartades, les trahisons, les désaccords politiques et les déceptions amoureuses, leur amitié demeure intacte. Ils reviennent s’y ressourcer, panser leurs ego blessés, boire les pensées l’un de l’autre et rire un bon coup, à treize comme à trente ans.
Fedwa Bouzit
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