L’éclipse de lune de Davenport et autres poèmes, Jim Harrison
L’éclipse de lune de Davenport et autres poèmes, janvier 2017, trad. américain Jean-Luc Piningre, édition bilingue, 192 pages, 7,10 €
Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Sans être en rien lyrique ni romantique, le poète-romancier Harrison en pur réaliste réussit à nous convaincre, le temps de la lecture de ses poèmes, de faire un bout de trajet américain avec lui. En Amérique profonde, cela va sans dire, tant les poèmes regorgent d’allusions à ces terres de solitude, pleines d’animaux (pumas, coyotes, corbeaux), à l’heure où Jim se donne un rien de vitalité en humant l’air de lune, la tombée du soir, en décrivant les alentours de son chez soi.
J’ai lu que dans
l’immensité sauvage
le vieux Nieh dressa un tigre des montagnes
à porter son bois pour le feu.
Le poète recueille le menu, l’infime, les vibrations, les altérations de l’air, les violences communes, et distille une mélancolie de fin du monde, où il se sent devenu trop vieux pour vivre les changements.
Le passé resurgit, avec ses baumes, ses Indiens chassés, ses blondes : l’Amérique détaillée comme si vous y étiez. On sent passer le souffle des plaines, des grands espaces. Certaines banalités ou choses crues ne sont pas exemptes de la plume du poète, et fidèle à ses chiens le poète parfois erre et flaire du bout du museau les réalités de son univers.
Les paysages de Red Mountain, ses souvenirs d’enfant « aveugle », la lucidité de quelqu’un qui ne croit guère à la survie du temps, empoissent le périple : il reste qu’il faut parfois se convaincre de boire pour oublier, dans la sensation d’en « finir là même où on a commencé », dans une désespérance qui ne dit pas son nom.
Ces poèmes pleins de corbeaux et de crépuscules annoncent des temps incertains. Il n’y a pas de complaisance. Le constat dicte le poème. L’amertume en découle, nette et franche.
Philippe Leuckx
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