L’Aventuriste, J. Bradford Hipps
L’Aventuriste, janvier 2018, trad. Jérôme Schmidt, 352 pages, 21 €
Ecrivain(s): J. Bradford Hipps Edition: Belfond
Sans doute jugé très peu sexy, le monde de l’entreprise a longtemps été boudé par la littérature contemporaine. On se souvient de Michel Houellebecq qui, en 1984 avec son Extension du domaine de la lutte, fut largement salué pour avoir héroïsé le salarié moyen et jeté un œil acerbe sur son identité sociale. Bien sûr, il n’est pas le seul à s’être distingué en disséquant milieux et relations professionnels, mais c’est alors bien souvent pour faire ressortir des personnages déviant de la norme sociale. Pensons seulement au fameux American Psycho de Bret Easton Ellis ou encore au Démon d’Hubert Selby.
Sauf qu’avec J. Bradford Hipps, on est vraiment très loin des marginaux, des psychopathes et des dépressifs impénitents. Ses personnages n’ont d’ailleurs rien de bien extraordinaire : ce sont des êtres humains mus par leurs désirs et ambitions, leurs valeurs et fêlures personnelles, lesquels ne nous sont pas si étrangers.
Henry est le chef du service technique chez Cyber, une boîte d’informatique dans le Midwest américain. Bien qu’il se laisse souvent griser par le faste que lui assure sa position managériale, il n’est pas imperméable aux doutes et incertitudes, bien au contraire. Partagé entre l’appât du gain, l’amour inconditionnel pour sa famille, l’admiration non feinte pour son directeur et son attirance viscérale pour sa collègue du Marketing, il cherche à maintenir un équilibre, instable, sans cesse mis en danger par une réelle empathie pour ses semblables. Aussi devra-t-il composer avec sa sœur Gretchen, aussi généreuse qu’idéaliste, son père encore endeuillé par la perte récente de sa femme, ses pairs et les membres de son équipe, dont il ne manquera jamais de mettre en valeur les mérites, Keith, son boss charismatique et inflexible, et enfin la belle Jane, qui semble s’éreinter au travail pour fuir un mariage raté. Henry, en tout premier lieu, mais tous les autres à sa suite campent des personnages tendres et attachants, jamais ridicules malgré leurs failles respectives.
Enfin il est nécessaire de souligner que même si le récit ne manque pas de pointer certains aspects grotesques de la comédie humaine qui se joue en entreprise, il apporte aussi un éclairage compréhensif, conciliant et parfois presque didactique sur les contraintes inhérentes aux systèmes économiques. Aussi faut-il comprendre que derrière des notions aussi triviales que ventes, achats, chiffres et objectifs, se trouve parfois sérieusement compromise la destinée d’hommes et de femmes, et ce, souvent à leur insu. Alors quid d’un « aventuriste » dans ce monde prosaïque ?
Touchant et intelligent, ce premier roman de J. Bradford Hipps, traduit de l’américain par Jérôme Schmidt, se lit avec délectation, entre sourire aux lèvres et petite boule à l’estomac.
Christelle D’Hérart-Brocard
- Vu : 3712