L'attente, Catherine Charrier
L’attente, Editions Kero, 248 pages, 15,90 €
Ecrivain(s): Catherine Charrier
Une rencontre, qui dure, un amour, qui se prolonge, un désir, qui se perpétue. Une histoire. Rythmée, scandée par ce qu’elle écoule en elle de temps à côté. Une histoire d’amour fou ? Non, plutôt un amour re-commencé, poussé, roulé, arc-bouté au temps, à l’attente. La narratrice se met, en pensée, en imagination, dans ce moment-là du prochain rendez-vous. Là où on attendrait un décompte, là où toute impatience compterait les jours, Marie, la narratrice, les accumule. Chaque chapitre en porte le signe : « J+… ». L’attente ne mange pas le quotidien, c’est le « fil des jours » qui l’absorbe.
L’attente, quel drôle de mot pour recouvrir d’abord, recouvrer ensuite, quand elle ne sera plus, une réalité (?). Celle d’un amour, d’un désir, d’un sentiment, d’une trame de vie.
Lui : Si cela continue, dans un an je la quitte (sa femme) et je t’épouse (p.14)
Elle : Je pense : un an, attendre (p.14)
Dès l’entrée, les jeux sont faits, les dés sont pipés : qu’est-ce qui « continue » ? Qu’est-ce que continuer, sinon durer. Et durer, n’est-ce pas le contraire d’espérer. Et Marie, mariée et qui a deux petites filles attend que son amant se libère sans jamais évoquer son propre désengagement.
Lui : Je ne partirai pas Marie (p.153)
Elle : J’avais compris (p.153)
Lui : Je t’en prie, ne me demande plus de la quitter (p.242)
Elle : Ne t’inquiète pas, je suis prête, je ne te le demanderai plus (p.242)
Entre-temps, douze ans, presque treize se sont écoulés. L’attente est venue à bout du temps, au bout du temps. L’attente se dilue dans le temps et renaît d’elle-même, les personnages s’y installent, c’est le personnage principal de ce récit traité par petites touches subtiles : ce qu’elle est, ce qu’elle veut, comment elle prend forme, ce qu’elle revêt : la couleur d’une robe, le rassemblement de soi autour, son enjeu relancé à chaque signe – signal – de l’autre, ses présents, le mensonge, une certaine forme de désertion de soi et de la réalité.
Viendra le moment où l’attente ne sera plus réfléchie.
Lorsque Marie, à nouveau, s’y réfère, quelque part entre le J+2935 et le J+3983, le temps lui tend un miroir où se voit le passé : Dans l’attente on a le temps. J’ai eu le temps (…) Tout ce temps que j’ai eu, jusqu’à ce que je n’en ai plus. A la fin de l’attente je suis devenue pressée (p.222-223).
L’attente est déçue. Elle veut quitter la scène. L’attente va tirer sa révérence, mais avant, elle aspire à un moment de grâce, à une célébration. On va célébrer la fin de l’attente, en grande pompe (p.243).
Finalement, la vie de la narratrice se passe à attendre ce qu’elle a, et qui lui échappe. Une vie dans une vie, une mise à côté, de côté, un compte à rendre. Un très beau livre de comptes (de contes ?).
Anne Morin
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