L’associé, Joseph Conrad
L’associé, janvier 2017, trad. anglais G. Jean-Aubry, 86 pages, 2 €
Ecrivain(s): Joseph Conrad Edition: Folio (Gallimard)
Le parti pris de cette nouvelle extraite du recueil En marge des marées est en apparence convenu. Un auteur de fictions pour revues traîne son ennui dans le fumoir d’un petit hôtel en bord de mer où un vieil arrimeur a ses habitudes. Peu aimable, celui-ci vitupère contre la naïveté des touristes et la complaisance des mariniers à exploiter « cette histoire à dormir debout » concernant un naufrage passé. Et l’homme habituellement taciturne de livrer sa version des faits.
Toute l’affaire, avant de se terminer sur les rochers de la côte, a démarré dans un bureau à Londres où Georges Dunbar, frère du capitaine et propriétaire du bateau le Sagamore s’est associé à Cloete, un américain véreux. Un brave homme influençable, un exécuteur des basses besognes, une épouse frivole et une autre modèle : aucune de ces figures typiques ne manque à l’appel. La physionomie de chacune comme sa psychologie animent des décors un peu miteux de cette Angleterre où on rêve d’autant plus d’argent et d’exotisme que les affaires sont rudes et le ciel plombé.
En réalité, la nouvelle interroge sur l’inspiration et l’écriture. D’ailleurs, l’ancien arrimeur ne daigne prêter attention à l’étranger qu’à partir du moment où il sait qu’il exerce le métier d’écrivain.
Comment se forme une intrigue, à partir de l’imaginaire ou de la réalité ? La réponse de l’écrivain met en exergue le fond. « Quelquefois, il faut tirer des tas de choses de sa tête, quelquefois rien. Je veux dire que l’histoire n’en vaut pas la peine. C’est de ça que tout dépend ».
Or, l’essentiel n’est-il pas au contraire dans la forme ? Car sinon, qu’est-ce qui distinguerait le texte travaillé d’un auteur du récit rapporté oralement par un témoin ?
Voilà probablement des questions qui se sont imposées au capitaine Conrad quand il commença à écrire à 32 ans. Embarqué à 17 ans, il dut se passionner, dans tous les ports, pour les confidences de marins et d’aventuriers. Mais combien de ses compagnons furent-ils à partager cette avidité sans pour autant devenir, comme lui, un écrivain de génie ?
Sous ses bougonnements, le vieil homme du fumoir soulève donc la question fondamentale du mystère de la création. Son interlocuteur tirera-t-il finalement de sa narration un texte de son cru ?
Ainsi, la publication à part de cette nouvelle permettra à ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir l’univers de Conrad et donnera aux lecteurs de ses romans l’envie de se plonger dans les Nouvelles complètes publiées par le même éditeur dans la collection Quarto.
Marie-Pierre Fiorentino
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