L’assassinat d’Elsa, André Rollin
L’assassinat d’Elsa, janvier 2014, 159 pages, 16 €
Ecrivain(s): André Rollin Edition: Le Cherche-Midi
Comme les poupées russes, L’assassinat d’Elsa est un roman dans le roman. Le libraire Patrice Quentin a été engagé, dans les années 70, par Louis Aragon pour signer un roman à sa place. Il devait y raconter l’assassinat de sa femme, Elsa, que le poète a étouffée avec un coussin. Rouge évidemment, quand on s’appelle Aragon.
L’inspecteur Michaloir, policier qui ambitionne d’écrire un polar, habite en face de la librairie de Quentin ; il enquête sur la mort d’Ernest Tation (de métro ?), éditeur qui a été étouffé par un manuscrit. Michaloir, pour concrétiser son rêve vient d’ailleurs chaque semaine acheter un roman policier à Quentin mais cela ne stimule guère son inspiration.
Dernier personnage, Salomé. Rien à voir avec l’excitée qui veut la tête de Jean-Baptiste. Fille de Michaloir, Salomé est une grande lectrice qui observe le fantasque libraire Quentin de la fenêtre de sa chambre à coucher et lui rend souvent visite pour lui acheter des romans qui n’existent pas. Salomé s’ennuie mais elle comprend la vie avant tout le monde. Privilège de la jeunesse, sans doute.
« Elle imagine. Un roman de fleurs et de montagne. De guerre et de fracas ».
Tout est vrai dans L’assassinat d’Elsa, à l’instar du roman Blanche ou l’oubli qu’Aragon a publié en 1967. Mais tout est faux comme ce roman Le coussin que le poète n’a jamais écrit. Coussin qui n’a pas servi à étrangler sa femme Elsa, puisque celle-ci est bien morte en 1970 mais d’une maladie cardiaque.
Tout est vrai dans le livre d’André Rollin sauf ce que le narrateur a inventé. Narrateur qui se prénomme André, qui reçoit des centaines de romans à éplucher pour la rentrée littéraire de septembre et qui choisit pour sa première critique du mois d’août « Un auteur que j’aime, point final ». Et qui a écrit un livre de souvenirs intitulé La mémoire de l’iceberg. Voilà qui nous rappelle quelqu’un !
Pourquoi Aragon aurait-il voulu assassiner Elsa ? Mais parce qu’il en a marre de ses yeux. Aragon, Elsa, les yeux : un trio laid.
Quel libraire ne rêve pas d’avoir une cliente fidèle comme Salomé qui « se met nue devant sa fenêtre et imagine l’improbable. Elle lit tellement de choses invraisemblables dans ses livres ».
Et quel écrivain n’a pas rêvé d’étouffer un éditeur rétif à sa prose en lui faisant avaler un manuscrit ?
En définitive, ce vrai faux roman dont Aragon est le héros posthume n’est qu’un prétexte pour parler de ce qu’André Rollin connaît le mieux : la littérature.
L’auteur le confie d’ailleurs à la fin de son livre. « J’ai simplement voulu écrire. Pour avancer. Pour ne pas étouffer. Pour continuer avec une plume. À vivre. À tenir tête. Et à voir des oiseaux partout, dans les nuages et dans les vagues ». Joliment dit…
Car le style vif et l’écriture acidulée et poétique d’André Rollin démontrent qu’il possède un point commun avec Aragon : il écrit encore comme un jeune homme !
Fabrice del Dingo
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