L’Armée des pauvres, B. Traven
L’Armée des pauvres, Trad. (Allemand) Bernard Simon novembre 2013, 387 pages, 21 €
Ecrivain(s): B. Traven Edition: Le Cherche-Midi
Jungle bell !
« Terre et liberté ! », tels étaient les mots employés par une armée d’indiens pouilleux pour libérer leur pays du joug d’un dictateur baptisé caudillo. Dictateur sans états d’âme qui s’appuie sur les sinistres rurales pour faire régner la terreur et exploiter les paysans.
L’armée d’indiens pouilleux est commandée par un fin stratège dénué de patronyme mais que B. Traven a baptisé Général. La troupe de Général met à mal l’armée du caudillo qui fait régner la terreur sur les paysans et réserve un triste sort aux ennemis qui tombent entre ses mains.
Le roman se lit bien et l’histoire est rondement menée. Le style de B. Traven (pour autant qu’on puisse en juger à travers une traduction) est épique et très cinématographique. L’auteur décrit avec précision l’atmosphère des dictatures sud-américaines qu’il connaissait fort bien. S’il reste sans complaisance devant les exactions commises par les deux camps, on voit bien auquel va sa préférence.
L’Armée des pauvres est un livre original qui vaut le détour au milieu de cet océan de nombrilisme qui dévaste la littérature française.
Original ? C’est un peu le problème car ce roman est présenté comme inédit par l’éditeur sur la 4è de couverture. Or, s’il est bien inédit en France, il s’agit manifestement d’un livre écrit en 1937 et publié sous le titre original allemand « General kommt aus dem Dschungel » et connu en français comme « Le général de la jungle ».
Le général de la jungle fait partie d’un cycle consacré à l’acajou (caoba), dont le tome le plus emblématique porté au cinéma au Mexique demeure « La rébellion des pendus ». Ces livres ont une portée quasi historique, puisque c’est la première fois qu’un écrivain a dénoncé la réalité des conditions de travail des indigènes dans cette partie du Mexique, et les dangers de la déforestation excessive.
L’éditeur entretient donc une certaine ambigüité en utilisant le mot « inédit » dans la mesure oùL’Armée des pauvres est seulement inédit en France et sous ce titre-là. Mais tout ce qui peut faire connaître cet auteur un peu oublié, et dont la vie elle-même constituerait le plus beau des romans pour peu que quelqu'un s'attelle à une biographie sérieuse de cet homme qui passa sa vie à brouiller les pistes, est bienvenu.
En effet, B. Traven qui a une demi-douzaine d’identités connues (une trentaine en tout semble-t-il !) reste un mystère : c’est un Allemand qui serait né le 23 février 1882, à Świebodzin en Pologne mais aussi à Chicago le 3 mars 1890 et à San Francisco le 25 février 1882 ! Une naissance en trois actes, en quelque sorte.
Ce serait en réalité l’acteur allemand Ret Marut (nom de scène qui est l’anagramme de Traum qui signifie rêve en allemand) qui s’est enfui de son pays après avoir été emprisonné pour participation à des mouvements révolutionnaires en 1918-19 et dont on perd la trace pendant des années avant de le retrouver en Amérique du sud.
Son principal titre de gloire est d’avoir écrit Le trésor de la sierra madre devenu un film célèbre de John Huston. B. Traven avait écrit à John Huston pour préparer le tournage, et il exigeait pour céder les droits que l’essentiel du film soit tourné au Mexique avec des figurants indigènes. Au début de celui-ci, un certain Hal Croves se présenta comme l’agent littéraire de B. Traven, qui ne pouvait venir à Mexico et lui avait demandé de superviser le tournage.
Lorsque survenait un problème, Hal Croves sortait pour soi-disant téléphoner à l’écrivain ; vaste fumisterie puisque Hal Croves était B. Traven lui-même. On le voit fumer sur une photo, alors que Traven ne fumait pas (un de ses nombreux stratagèmes pour brouiller les pistes) Bref, un type tordu !
Fabrice del Dingo
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