L’Arbre et le Béton, De la nature des choses, Des choses de la nature (dialogue), Margo Ohayon & Michel Host
L’Arbre et le Béton, De la nature des choses, Des choses de la nature, février 2017, 108 pages, 12 €
Ecrivain(s): Margo Ohayon & Michel Host Edition: Rhubarbe
Deux voix qui s’interrogent, se répondent, s’interpellent, jouent la provocation sympathique, la séduction subtile…
Deux visions poétiques du monde qui s’entrecroisent, se contredisent, se superposent, se complètent, se réunissent par endroits pour n’en faire plus qu’une… puis se disjoignent…
Telle est la joute amicale et originale en vingt manches plus une prolongation à quoi se sont livrés Margo Ohayon et Michel Host dans ce recueil mêlant prose poétique et poésie formelle, souvenirs et impressions intimes, histoires et anecdotes.
L’Arbre et le Béton…
De ces deux voix, l’une serait celle de L’Arbre, de la Nature, et l’autre celle du Béton, de la Ville ? Ce serait trop simple !
Lorsque Michel Host affirme : « Les balades en forêt pas plus que de la boue à mes semelles ne sont faites pour moi », ce n’est pas sans une immédiate note nostalgique d’une époque révolue où, en son enfance, toute la vie se déroulait à la campagne. Mais ce temps-là n’est plus, l’homme est devenu citadin et préfère le trottoir aux sentiers.
C’est ainsi.
C’est ainsi mais rien n’est définitif. L’homme passera, la nature reprendra la place qui lui a été prise, et qui est foncièrement la sienne.
C’est ainsi, mais, quoi qu’il en dise, cette nature, Michel Host la porte en soi. S’il ne s’y reconnaît pas, il en est partie prenante, il en est aussi partie prise. Il assume cette contradiction.
Je suis partie involontaire de ce que, à défaut d’imagination, la philosophie appelle la nature en général, segment du monde physique donc.
Puis-je affirmer […] que j’ai plaisir à la Nature, à me trouver chez elle ? Pas vraiment… Mais parfois oui, lorsque les conditions sont confortables […]. La terre ? J’aime son odeur, ni mâle ni femelle, mais puissante, singulière. Surtout dans le vin (Le voyageur anglais).
A quoi répond immédiatement avec jouissance, avec sensualité, presque avec dévotion, Margo Ohayon :
L’odeur de la terre, la contourner, la prendre entre ses paumes, d’un souffle la ranimer, la porter de bouche en bouche sous les anciens pampres rouges devenus vigne-vierge sauvage au cœur de la jachère… (La source).
Le thème est repris dans les échanges qui suivent celui-là. Les mots de l’une infléchissent la perception de l’autre, suscitent interrogations et variations, les positions se rapprochent. L’intrusion du béton dans le duel amical, de ce béton qui semble devoir anéantir tout espace naturel, met les deux poètes en accord : la suprématie de l’homme sur la Nature n’est qu’un règne provisoire.
Dans l’asphalte de la ville, ou entre deux pavés figés dans le dur ciment, je l’ai vue moi aussi, l’épée d’herbe réfractaire, l’ultime résistante, l’humble sœur muette… (Mon humble sœur muette).
La nature poétique reprend alors elle aussi le dessus, et l’imaginaire s’invite en force. Oubliée la dure réalité du béton, rêverie et divagation redeviennent possibles, l’érotisme, rival immémorial du trivial, efface la morne et insensible, insensée dureté de l’asphalte, et le poète Host s’introduit dans la scène du Déjeuner sur l’herbe, dont il devient le cinquième acteur. Joli coup de théâtre !
Paysages remémorés, souvenirs résurgents de tableaux de peintres (Corot, Sisley, Cranach), galerie animalière où le frelon, la libellule, la fouine, le lérot, la corneille, l’écureuil, jalonnent le cours de l’enfance, la Nature, à défaut d’être encore en mesure de ré-envahir la ville, s’impose en puissance évocatrice dans le va-et-vient épistolaire.
Comment passe-t-on de la réminiscence d’une buse blessée, soignée, guérie et relâchée à un débat sur Marmontel ? C’est là qu’est tout le charme de ces conversations à bâtons rompus qui permettent, par associations, de savoureux coq-à-l’âne…
La Nature, source et lieu de tous les mythes… Evidemment surgit sans tarder, et réapparaît de façon récurrente, pointant sa gueule dans le tac-au-tac, l’animal mythique par excellence, le serpent originel, lequel connote fatalement… l’origine du monde, d’où un à-propos sur le tableau de Courbet.
Les deux muses s’amusent, et nos poètes musent, et se faufilent entre des fantômes, puis passent du macabre, du thanatos, à l’éros, comme par hasard, et le dialogue s’enfièvre, et nos auteurs, oserait-on dire, « s’acoquinent » de manière plus intime, car le serpent tentateur est bien présent, à peine dissimulé, dans le jardin poétique et secret qui s’est créé là.
Trois jouvencelles laissent à peine entrevoir leur mont de Vénus glabre sous un voile diaphane, et deux pommes d’or (Les pommes d’or, Margo Ohayon).
Ce qui provoque, inévitablement, sur le même registre, la répartie galante de Michel Host :
Ô Margo, voulez-vous me rendre fou ?
M’égarer dans les sables du désert où s’est englouti le jardin ?
Me voir m’élancer jusqu’au prochain mirage, et de mirage en mirage me perdre en rêveries insolites, si ce n’est ithyphalliques ?
Comme vous y allez, n’est-ce pas… Trois jouvencelles ? Et avec ça tentées, sous leurs mines pudiques, par quelque diable caché ?
Et le jeu continue, et par moments le jeu s’emballe, et « emballe » le lecteur.
Poésie parfois prosaïque, prose toujours poétique pour des compositions souvent plaisamment ludiques, souvent agréablement bucoliques, tantôt simplement mais délicatement nostalgiques, tantôt quelque peu théâtrales, parfois puissamment lyriques, parfois concrètement « sociétales », tantôt foncièrement philosophiques…
De rerum natura…
L’ensemble, à situer dans la tradition des belles-lettres, est charmant, et bien plus encore : charmeur.
Patryck Froissart
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