L’après-exil, Georges-Arthur Goldschmidt (par Philippe Leuckx)
L’après-exil, Georges-Arthur Goldschmidt, éd. Verdier, janvier 2025, trad. allemand, Jean-Yves Masson, 96 pages, 18,50 €
Edition: Verdier
Les deux frères Goldschmidt, Juifs allemands, Erich, et son cadet de quatre ans, Georges-Arthur, ont dû quitter le pays natal et ont connu dès les années 1938/1939 l’exil. Plus de quatre-vingts ans après les faits, le second, devenu écrivain, relate cette période sombre où il faut fuir l’Allemagne, devenue meurtrière pour la communauté juive, et trouver refuge, d’abord en Italie, à Florence, puis en France, du côté de Chambéry.
Les toutes premières pages contribuent à cerner de manière précise, complexe, cette notion d’exil que l’auteur va véritablement éprouver dans sa chair d’exilé. Il faut, pour l’auteur de ces pages, passer au crible des définitions les seuls mots d’exil et d’après :
« Quiconque a été contraint à l’exil n’en sort plus de toute sa vie » (p.9).
« Vu de l’extérieur, l’exil semble être un événement anodin, minuscule, mais après lequel tout est irrémédiablement terminé » (p.14).
Il n’est pas seulement question de « statut juif » ni de « condition d’exilé », mais encore d’une langue maternelle désormais interdite puisque c’est d’elle qu’il importe de se prévaloir pour ne pas perdre son identité, et que cette identité est désormais mise à mal, refusée, déniée.
En peu de pages, l’auteur dit combien la perte des repères (pays natal, ville, parents, langue) lui a coûté d’efforts et d’angoisses. Le petit juif pourchassé, sur les routes de l’exil, qui tente désespérément de conserver en lui tout ce qui va être perdu : les odeurs, les habitudes, « les bouleaux du jardin », « des voix au loin », la présence du père allongé dans les herbes.
« Ainsi arrivèrent très vite les derniers jours dans ce pays qu’Arthur n’avait plus le droit d’appeler le sien et qui l’était pourtant tellement, le chemin vers le Vorwerksbusch, la voie ferrée, le vent dans les poteaux télégraphiques » (p.35).
En France, dans l’institution qui l’héberge, c’est l’apprentissage du français, la découverte de la littérature, puis, vers la fin de la guerre, il est recueilli par des paysans de Haute-Savoie qui « risquèrent alors leur vie pour cacher cet adolescent de dix-sept ans, malpropre et mort de peur » (p.58).
On sent en tant que lecteur tous les sentiments qu’Arthur a vécus dans sa chair, on participe d’une aventure qui ne fut pas seulement linguistique et culturelle mais surtout expérience vitale de l’altérité, de l’exil, de la peur de vivre dans un pays étranger.
C’est un témoignage insigne sur une période qui ne connaît presque plus de témoins et d’acteurs d’alors, un récit âpre sur la condition humaine imposée aux plus faibles par un régime assassin.
« C’est le mal du pays qui lui arrache les entrailles, les larmes coulent de ses yeux » (p.82).
Un livre déchirant, très bien traduit.
Philippe Leuckx
Georges-Arthur Goldschmidt, né en 1928 près de Hambourg, est l’auteur d’une trentaine d’essais et de récits en français et en allemand. Citons : Le poing dans la bouche ; Le recours ; Le chemin barré.
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