L’année des nuages, Lilyane Beauquel (par Théo Ananissoh)
L’année des nuages, février 2019, 162 pages, 16 €
Ecrivain(s): Lilyane Beauquel Edition: Gallimard
Le roman commence par la fin. Le corps d’un jeune homme tué par un véhicule est découvert dans les fourrés. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire qui reste ouverte, et qui tisse plusieurs vies jeunes et moins jeunes à Montpellier et en Syrie.
D’abord le couple Chloé et Adam. Moins de vingt ans d’âge. Étudiants en médecine. Couple ? Façon de parler ou de les voir de loin puisqu’ils vivent ensemble. Chloé veut aimer, faire l’amour ; Adam se refuse, est obsédé par Nora, premier et unique amour abandonné, laissé en quittant la Syrie – le contexte est bien celui de la guerre qui ravage ce pays « où a commencé l’art de cultiver les épis de blé et de les multiplier ». Obsédé semble un mot faible pour dire l’état d’esprit d’Adam. Il voit, sent, devine Nora partout et tout le temps ; au point d’être involontairement mais très clairement cruel.
« A travers le vêtement de nuit, il aperçoit son sexe mais ce sont les hanches de Nora qu’il voudrait tenir. La voix de Chloé n’a pas le cristal de celle de Nora, les aréoles de ses seins sont roses, celles de Nora sont brunes. Chloé est jolie, il l’a vue porter des meubles, courir au même rythme que lui, cette fille ne devrait pas souffrir de l’indifférence d’un garçon, pourtant il est ce garçon ».
Parce que « l’amour mène à vouloir son abri », Adam rêve, désire, veut, cherche une maison.
« Il veut une maison. Pour éviter de se tirer un coup de revolver. Une maison au bon endroit pour qu’au silence rien ne s’oppose quand Nora voudra dormir et que lui travaillera. Une maison avec des entrées de soleil par des fenêtres bien placées. Il y imagine déjà Nora, il entend même sa voix à l’étage : il n’avait pas prévu à quel point elle allait lui manquer. Une maison entre les pierres, entre les arbres, entre les routes, entre la mer et la montagne, entre les frontières ».
Chloé subit. Elle est stoïque. Incroyablement. Amoureuse ? Sans aucun doute. Elle le (lui) dit, le prouvera par un geste fort plus tard. Elle trouve Adam beau. Essaye avec douceur, au cœur du lit et de la nuit, par des gestes vrais, de créer du désir en lui. Il se dérobe, fuit, somnole à sa table de travail, sur ses livres de médecine, afin de ne pas être allongé près d’elle. Et quand cela arrive une fois, c’est un échec, bien sûr.
Lilyane Beauquel décrit ici puissamment le désir qui n’est pas partagé, qui n’est pas commun sans qu’on puisse en faire le reproche à l’autre.
Nora, n’est-ce pas une forme de refuge ? Un abri, une protection contre le pays perdu ? Le père assassiné par le régime ? La mère – française – jamais connue car morte en lui donnant la vie ? L’amour est-il possible dans une âme éperdue ?
Chloé reportera ses désirs inassouvis sur Jad, réfugié venu de Syrie lui aussi, ami d’enfance d’Adam. Jad, lui, n’est pas étudiant. Il a tardé à fuir le chaos général de là-bas. Il est probablement traumatisé, lui aussi. Il épie Adam et Chloé à travers la ville, être errant, sans domicile fixe. Jad a pour Adam une nouvelle définitive au sujet de Nora – Nora dont lui aussi fut très amoureux autrefois, avant les tueries politico-religieuses, les attentats et les vandalismes au nom de Dieu. Une information peut-être libératrice malgré tout. Mais non, c’est Chloé que Jad libère en quelque sorte d’Adam. Libération ? Évasion plutôt. Charnelle. Effrénée. Nous l’avons dit sans le préciser. D’autres personnages, jeunes, moins jeunes, étudiants, paumés sont là, avec et autour de ce trio. Et ce qui advient à la fin – cette fin placée au début du roman – s’explique par ces autres et par cette rencontre charnelle entre Chloé et Jad.
Beau roman écrit en un phrasé rapide, net, vrai, sans cesse préoccupé de contenir une profonde et forte sensibilité. Une réussite d’écriture sur un sujet d’actualité piégeant.
Théo Ananissoh
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