L’Amoureuse, Le roman de Marie-Madeleine, Cécilia Dutter (par Laurent Bettoni)
L’Amoureuse, Le roman de Marie-Madeleine, éditions Tallandier, août 2021, 280 pages, 18,90 €
Ecrivain(s): Cécilia DutterMarie est une jeune fille de 13 ans qui vit avec ses parents, sa sœur et son frère, à Béthanie, en Judée, au 1er siècle. Son avenir y est tout tracé : on lui trouvera bientôt un homme aux côtés de qui elle pourra devenir une épouse modèle et une mère de famille soumise à la loi maritale. Mais l’adolescente refuse de se plier à ces règles établies par les Juifs pieux de son époque pour mieux enfermer la femme. Au lieu de cela, elle rêve de liberté, de luxe, de richesse, de plaisir. Elle rêve de vivre comme les aristocrates proches du pouvoir romain. Alors, un jour, elle s’enfuit du foyer parental où elle s’ennuie ferme sans avoir plus rien à espérer et se rend à Magdala.
Sensuelle et audacieuse, elle ne tarde pas à faire tourner les têtes et devient très rapidement Marie de Magdala, la courtisane la plus prisée de Palestine. Les hommes puissants sont à ses pieds et y déposent des richesses… en échange d’une nuit, d’une nuit seulement. Ainsi Marie enchaîne-t-elle les amants et les ébats, mais ces aventures d’un soir restent sans lendemain et ne sont rien d’autre, au fond, que des passes tarifées, là où la jeune femme espère et croit naïvement à chaque fois en l’amour. Car en plus de sa couche, elle ouvre toujours son cœur. C’est pourquoi, après dix ans d’une vie de débauche, elle ressent un profond vide en elle et craint de sombrer dans la vacuité de son existence.
Elle entend alors parler d’un prophète, un certain Jésus, qui porte la parole d’un Dieu totalement nouveau. Elle part à sa rencontre et, immédiatement touchée par sa grâce, décide de se joindre à ses disciples pour le suivre sur les routes. Des liens très puissants mais toujours chastes les unissent bientôt, au point que le messie considère celle qui est redevenue Marie tout court comme la treizième apôtre, au grand dam des douze autres. Elle l’accompagnera jusqu’au bout de son voyage, jusqu’à sa mort. Ensuite, fuyant la Judée où sa vie est menacée, elle échoue en Provence. Elle y transmettra le message divin jusqu’à son dernier soupir, qu’elle rendra dans son ultime demeure : une grotte creusée dans le massif de la Sainte-Beaume.
L’Amoureuse offre très clairement deux niveaux de lecture, c’est ce qui rend ce roman particulièrement intéressant. Concernant ce que l’on sait de Jésus, Cécilia Dutter respecte scrupuleusement les Évangiles et le contexte historique. Si bien que nous avons souvent l’impression de nous retrouver au milieu du Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli, ce qui ne manquera pas de ravir le lectorat chrétien. Les autres apprécieront à sa juste valeur ce récit extraordinaire à la dramaturgie et à la construction impeccables. Au passage, remercions l’autrice de ne jamais verser dans le prosélytisme, tout en nous rappelant que les fondements d’une religion sont en principe la tolérance, l’amour et la paix. Cela nous change, par les temps qui courent.
Mais bien plus que sur le parcours du messie, c’est sur celui de Marie de Magdala que Cécilia Dutter s’est penchée. Et là, usant de son droit d’autrice, elle a tout inventé. Elle a fait de cette femme de mauvaise vie, uniquement connue pour ses mœurs dissolues, un être simplement imparfait (comme nous tous) mais parvenant à s’élever spirituellement grâce à la bonne rencontre avec la bonne personne.
Cette élévation débute par une prise de conscience. Marie comprend qu’en ayant tenté de s’émanciper par son unique pouvoir de séduction elle n’a fait que se rendre davantage prisonnière du regard des hommes. Voulant échapper au pouvoir masculin, elle s’en est faite l’esclave consentante par son choix de vie qui s’est finalement révélé ne pas être le bon. Ce n’est que grâce à l’amour véritable, désintéressé et inconditionnel – un amour auquel elle a choisi de répondre – que Marie s’est libérée et épanouie. Peu importe que cet amour ne soit pas consommé de façon charnelle, il n’en est peut-être que plus fort. Ce qui compte, ici, est que Marie soit maîtresse de son destin, qu’elle ait décidé elle-même de la voie à suivre, sans obéir à aucune autorité. Et parce qu’elle a suivi et assumé ses choix, parce qu’elle est sincère dans sa démarche, parce qu’elle en a sué plus que les autres pour en arriver là, parce qu’elle le comprend mieux que les autres, elle devient la préférée de Jésus, elle se place au-dessus des apôtres, tous masculins pourtant. C’est à elle que Jésus ressuscité apparaît en premier. Grâce à la force de cet amour entre eux dont elle est l’initiatrice et non la simple récipiendaire passive, elle accédera à la transcendance.
Grâce à ses actes et à son courage, Marie gagnera la liberté à laquelle elle a toujours rêvé. Sous la plume de Cécilia Dutter, cette jeune femme rebelle et volontaire de l’Antiquité mais incroyablement moderne apparaît comme une véritable féministe avant l’heure. Son parcours peut assurément inspirer plus d’une femme encore aujourd’hui.
Laurent Bettoni
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