L’amour est une géographie intérieure, Elysabeth Loos
L’amour est une géographie intérieure, éd. Le Coudrier, 2018, 121 pages, 16 €
Ecrivain(s): Elysabeth Loos
Qu’importent les situations de temps, de lieu ou d’action dans ce que l’auteur annonce comme étant « des carnets de deuil ».
Ecrits par à-coups, hoquets, comme pour gérer, à petites doses progressives, le choc, à moins que cela ne soit le contraire et que la série de textes courts ne résulte de la brutalité de l’évènement.
En tout cas, l’auteur conjure la cendre. Son amour se fait urne funéraire, dépositaire de souvenirs : « Mes mains ne cherchent pas à toucher, pas à sentir la masse. Le corps ne pèse rien. A peine le poids de la peine. Il n’est pas besoin de le peser ».
Le vide se remplit d’une présence placardée jusque dans les détails. Les lieux deviennent obsessionnels. L’alchimie fonctionne à restituer : « Dans les grimoires du temps, je refais ce qu’il a défait. Je bande sa chair calcinée ».
C’est que « l’amour est une géographie intérieure ». L’espace doit être réorganisé de manière à remodeler, quasi membre par membre, jusqu’à ce que le souvenir reprenne vie.
Selon elle-même, l’auteur se sent « apatride au pays des mots ». Et comment ne pas songer au recueil fort du poète Gérard Prévot, Prose pour un apatride, poète ayant comblé une solitude du même genre (mais il ne s’agit pas d’un évènement identique), devant la mer, et aussi à Ostende ?
Le choc de la brutalité du départ de l’être aimé est universel. La mort, apatride elle aussi, abroge l’état de lieu de cette forme littéraire restituée en puzzles de situations.
Nous sommes au-delà du souvenir et parfois même avec une dosette d’humour qui m’a parfois fait penser, à travers les références historiques (pour abolir l’état de « temps » ?), à des personnages de cire remodelés comme pour être mis au musée de l’Eternité.
La question du « pourquoi ? » achève souvent la courte pratique d’un texte révélant un instant. Au contraire de son souvenir, l’auteur vit d’une présence restituée dans une unité de temps qui ne sera plus. L’étendue a remplacé l’état de lieu pour s’éterniser : « Les trous sont trop grands, rien ne reste, même pas la trace de mes pas dans les siens ».
Le souvenir se fait persistant autant que la dérision de tout vocabulaire pour l’énoncer : « Le temps qui passe est un leurre. Il n’efface rien, ni le chagrin, ni les grains de l’existence. L’amour est une géographie intérieure ».
La mort se fait discrète jusque dans la « belgitude » des crevettes d’Ostende : « Je m’enroule le cœur dans mon écharpe tricolore et je prends l’eau, comme à Ostende on prend une bière ambrée, quatre cadavres de crevettes roses dans une soucoupe ». Ainsi, faut-il accepter la colère de l’évènement, le foudroiement : « J’étais là. Et bien sûr, jamais je n’aurais pu empêcher le métro de voler en éclats, le monde de s’enliser ou l’allumette de craquer », l’évènement personnel étant assimilé aux actes ou catastrophes universellement imprévisibles.
Le corps, lui aussi, va se faire géographique, universel jusqu’à des lieux différents comme monter ou descendre en rappel dans le corps du disparu, évoqué à chaque étape du récit : « Je sais sa douleur, qu’elle était sienne et qu’il n’a pas trouvé d’autres façons d’écarter les barreaux de sa cage ». L’absence est souvent évoquée très physiquement, voire sexuellement, en symbiose, comme : « J’ai le corps à marée basse. Il ne m’est plus rien. Plus rien depuis que j’ai perdu l’émoi de mon corps face au sien ».
Splendides « carnets de deuil » écrits comme des souvenirs de voyage. Elysabeth ne sait pas encore quand elle posera ses valises avant de conclure : « Je comprends qu’il n’y a rien à comprendre. Rien.
Rien qu’à aimer ».
Comment, en effet, ne pas lui donner raison ?
Patrick Devaux
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